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LETTREXIV.

ne comprend guère ; chez M. Newton c’est par une attraction dont on ne connaît pas mieux la cause. À Paris vous vous figurez la terre faite comme un melon ; à Londres elle est aplatie des deux côtés, La lumière, pour un cartésien, existe dans l’air ; pour un newtonien, elle vient du soleil en six minutes et demie. Votre chimie fait toutes ses opérations avec des acides, des alkalis, et de la matière subtile ; l’attraction domine jusque dans la chimie anglaise.

L’essence même des choses a totalement changé. Vous ne vous accordez ni sur la définition de l’âme, ni sur celle de la matière. Descartes assure que l’âme est la même chose que la pensée, et Locke lui prouve assez bien le contraire. Descartes assure encore que l’étendue seule fait la matière ; Newton y ajoute la solidité.

Voilà de sérieuses[1] contrariétés.

Non nostrum inter vos tantas componere lites[2].

Ce fameux Newton, ce destructeur du système cartésien, mourut au mois de mars de l’an 1727. Il a vécu honoré de ses compatriotes, et a été enterré comme un roi qui aurait fait du bien à ses sujets[3]. On a lu ici avec avidité et l’on a traduit en anglais l’Éloge[4] de M. Newton, que M. de Fontenelle a prononcé dans l’Académie des sciences. On attendait en Angleterre son jugement comme une déclaration solennelle de la supériorité de la philosophie anglaise ; mais quand on a vu[5] que non-seulement il s’était trompé en rendant compte de cette philosophie, mais qu’il comparait Descartes à Newton, toute la Société royale de Londres s’est soulevée. Loin d’acquiescer au jugement, on a fort critiqué le discours. »[6]. Plusieurs même (et ceux-là ne sont pas les plus philosophes) ont été choqués de cette comparaison, seulement parce que Descartes était Français.

Il faut avouer que ces deux grands hommes ont été bien différents l’un de l’autre dans leur conduite, dans leur fortune, et dans leur philosophie.

Descartes était né avec une imagination brillante et forte, qui

  1. Au lieu de sérieuses, il y a furieuses dans les éditions de 1734, 1739, et dans toutes celles qui ont précédé l’édition in-4o (tome XIV, daté de 1771).
  2. Virgile. Églog., IV, 108.
  3. Voltaire vit la pompe de ses funérailles.
  4. 1734. « L’éloge que M. de Fontenelle a prononcé de M. Newton, dans l’Académie des sciences. » Le texte actuel est de 1739.
  5. 1734. « Mais quand on vu qu’il comparait. »
  6. 1734. « On a critiqué ce discours.