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LETTRE IX.

Voici comme commence la grande charte : « Nous accordons de notre libre volonté les priviléges suivants aux archevêques, évêques, abbés, prieurs, et barons de notre royaume, etc. »

Dans les articles de cette charte il n’est pas dit un mot de la chambre des communes, preuve qu’elle n’existait pas encore, ou qu’elle existait sans pouvoir. On y spécifie les hommes libres d’Angleterre : triste démonstration qu’il y en avait qui ne l’étaient pas. On voit par l’article 32 que les[1] hommes prétendus libres devaient le service[2] à leur seigneur. Une telle liberté tenait encore beaucoup de l’esclavage.

Par l’article 21, le roi ordonne que ses officiers ne pourront dorénavant prendre de force les chevaux et les charrettes des hommes libres qu’en payant. Ce règlement[3] parut au peuple une vraie liberté, parce qu’il ôtait une plus grande tyrannie,

Henri VII, conquérant et politique heureux[4], qui faisait semblant d’aimer les barons, mais qui les haïssait et les craignait, s’avisa de procurer l’aliénation de leurs terres. Par là les vilains, qui, dans la suite, acquirent du bien par leurs travaux, achetèrent les châteaux des illustres pairs qui s’étaient ruinés par leurs folies. Peu à peu toutes les terres changèrent de maîtres.

La chambre des communes devint de jour en jour plus puissante, les familles des anciens pairs s’éteignirent avec le temps ; et, comme il n’y a proprement que les pairs qui soient nobles en Angleterre dans la rigueur de la loi, il n’y aurait presque plus de noblesse en ce pays-là si les rois n’avaient pas créé de nouveaux barons de temps en temps, et conservé le corps des pairs, qu’ils avaient tant craint autrefois, pour l’opposer à celui des communes, devenu trop redoutable.

Tous ces nouveaux pairs, qui composent la chambre haute, reçoivent du roi leur titre, et rien de plus, puisque aucun d’eux n’a la terre dont il porte le nom : l’un est duc de Dorset, et n’a pas un pouce de terre en Dorsetshire ; l’autre est comte d’un village, qui sait à peine où ce village est situé ; ils ont du pouvoir dans le parlement, non ailleurs.

Vous n’entendez point ici parler de haute, moyenne, et basse justice, ni du droit de chasser sur les terres d’un citoyen, lequel n’a pas la liberté de tirer un coup de fusil sur son propre champ[5].

  1. 1734. « Ces hommes. »
  2. 1734. « Des services. »
  3. 1734. « Qu’en payant, et ce règlement. »
  4. 1734. « Henri VII, usurpateur heureux et grand politique. »
  5. La chasse n’est pas absolument libre en Angleterre ; et il y subsiste sur cet