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LETTRE VIII.

plus grands philosophes et les meilleures plumes de leur temps, aient pu à peine venir à bout d’établir un petit troupeau[1] !

Voilà ce que c’est que de venir au monde à propos. Si le cardinal de Retz reparaissait aujourd’hui, il n’ameuterait pas dix femmes dans Paris.

Si Cromwell renaissait, lui qui a fait couper la tête à son roi et s’est fait souverain[2], il serait un simple citoyen de Londres.


LETTRE VIII[3].

sur le parlement.

Les membres du parlement d’Angleterre aiment à se comparer aux anciens Romains autant qu’ils le peuvent.

Il n’y a pas longtemps que M. Shipping, dans la chambre des communes, commença son discours par ces mots : « La majesté du peuple anglais serait blessée, etc. » La singularité de l’expression causa un grand éclat de rire ; mais, sans se déconcerter, il répéta les mêmes paroles d’un air ferme, et on ne rit plus. J’avoue que je ne vois rien de commun entre la majesté du peuple anglais et celle du peuple romain, encore moins entre leurs gouvernements ; il y a un sénat à Londres dont quelques membres sont soupçonnés, quoique à tort sans doute, de vendre leurs voix dans l’occasion, comme on faisait à Rome : voilà toute la ressemblance. D’ailleurs les deux nations me paraissent entièrement différentes, soit en bien, soit en mal. On n’a jamais connu chez les Romains la folie horrible des guerres de religion : cette abomination était réservée à des dévots prêcheurs d’humilité et de patience. Marius et Sylla, Pompée et César, Antoine et Auguste, ne se battaient point pour décider si le flamen devait porter sa chemise par-dessus sa robe, ou sa robe par-dessus sa chemise, et si les poulets sacrés devaient manger et boire, ou bien manger seulement, pour qu’on prît les augures. Les Anglais se sont fait pendre autrefois réciproquement à leurs assises, et se sont détruits en bataille rangée pour des querelles de pareille espèce ; la secte des épiscopaux et le presbytérianisme ont tourné pour un temps ces têtes mélanco-

  1. 1734. « Petit troupeau, qui même diminue tous les jours ? »
  2. 1734. « Souverain, serait un simple marchand de Londres. »
  3. Cette lettre formait l’article Parlement d’Angleterre, dans le Dictionnaire philosophique, édition Kehl. Une note d’éditeur porte qu’il a écrit vers 1731. Je crois qu’on peut dire avant 1731.