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LETTRE V.

leur véritable religion, celle où l’on fait fortune, est la secte des épiscopaux, appelée l’Église anglicane, ou l’Église par excellence. On ne peut avoir d’emploi, ni en Angleterre ni en Irlande, sans être du nombre des fidèles anglicans ; cette raison, qui est une excellente preuve, a converti tant de non-conformistes qu’aujourd’hui il n’y a pas la vingtième partie de la nation qui soit hors du giron de l’Église dominante.

Le clergé anglican a retenu beaucoup de[1] cérémonies catholiques, et surtout celle de recevoir les dîmes avec une attention très-scrupuleuse. Ils ont aussi la pieuse ambition d’être les maîtres[2] : car quel vicaire de village ne voudrait pas être pape !

De plus ils fomentent autant qu’ils peuvent dans leurs ouailles un saint zèle contre les non-conformistes. Ce zèle était assez vif sous le gouvernement des torys dans les dernières années de la reine Anne ; mais il ne s’étendait pas plus loin qu’à casser quelquefois les vitres des chapelles hérétiques : car la rage des sectes a fini en Angleterre avec les guerres civiles, et ce n’était plus sous la reine Anne que les bruits sourds d’une mer encore agitée longtemps après la tempête. Quand les whigs et les torys déchirèrent leur pays, comme autrefois les guelfes et les gibelins désolèrent l’Italie, il fallut bien que la religion entrât dans les partis. Les torys étaient pour l’épiscopat ; les whigs le voulaient abolir, mais ils se sont contentés de l’abaisser quand ils ont été les maîtres.

Du temps que le comte Harley d’Oxford et milord Bolingbroke[3] faisaient boire la santé des torys, l’Église anglicane les regardait comme les défenseurs de ses saints privilèges. L’assemblée du bas clergé, qui est une espèce de chambre des communes composée d’ecclésiastiques, avait alors quelque crédit ; elle jouissait au moins de la liberté de s’assembler, de raisonner de controverse, et de faire brûler de temps en temps quelques livres impies, c’est-à-dire écrits contre elle. Le ministère, qui est whig aujourd’hui, ne permet pas à ces messieurs de tenir leur assemblée ; ils sont réduits dans l’obscurité de leur paroisse au triste emploi de prier Dieu pour le gouvernement, qu’ils ne seraient pas fâchés de troubler. Quant aux évêques, qui sont vingt-six en tout, ils ont séance dans la chambre haute en dépit des whigs, parce que la coutume ou l’abus de les regarder comme barons subsiste encore[4]. »

  1. 1734. « Des. »
  2. 1734. « D’être les maîtres. De plus. »
  3. De 1710 à 1714, ils se trouvèrent ensemble à la tête du ministère de la reine Anne.
  4. 1734. « Parce que le vieil abus de les regarder comme barons subsiste