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SUR LES QUAKERS.

frais qui n’avait jamais eu de maladie parce qu’il n’avait jamais connu les passions ni l’intempérance : je n’ai point vu en ma vie d’air plus noble ni plus engageant que le sien. Il était vêtu, comme tous ceux de sa religion, d’un habit sans plis dans les côtés, et sans boutons sur les poches ni sur les manches, et portait un grand chapeau à bords rabattus comme nos ecclésiastiques. Il me reçut avec son chapeau sur la tête, et s’avança vers moi sans faire la moindre inclination de corps ; mais il y avait plus de politesse dans l’air ouvert et humain de son visage qu’il n’y en a dans l’usage de tirer une jambe derrière l’autre, et de porter à la main ce qui est fait pour couvrir la tête. « Ami, me dit-il, je vois que tu es étranger[1] ; si je puis t’être de quelque utilité, tu n’as qu’à parler. — Monsieur, lui dis-je, en me courbant le corps et en glissant un pied vers lui, selon notre coutume, je me flatte que ma juste curiosité ne vous déplaira pas, et que vous voudrez bien me faire l’honneur de m’instruire de votre religion. — Les gens de ton pays, me répondit-il, font trop de compliments et de révérences ; mais je n’en ai encore vu aucun qui ait eu la même curiosité que toi. Entre, et dînons d’abord ensemble. » Je fis encore quelques mauvais compliments, parce qu’on ne se défait pas de ses habitudes tout d’un coup ; et, après un repas sain et frugal, qui commença et qui finit par une prière à Dieu, je me mis à interroger mon homme. Je débutai par la question que de bons catholiques ont faite plus d’une fois aux huguenots. « Mon cher monsieur, dis-je[2], êtes-vous baptisé ? — Non, me répondit le quaker, et mes confrères ne le sont point. — Comment, morbleu, repris-je, vous n’êtes donc pas chrétiens ? — Mon ami[3], repartit-il d’un ton doux, ne jure point, nous sommes chrétiens[4] ; mais nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l’eau[5] sur la tête avec un peu de sel. — Eh ! bon Dieu[6] ! repris-je, outré de cette impiété, vous avez donc oublié que Jésus-Christ fut baptisé par Jean ? — Ami, point de jurements encore un coup, dit le bénin quaker. Le Christ reçut le baptême de Jean,

    constances près. André Pitt écrivit depuis à l’auteur pour se plaindre de ce qu’on avait ajouté un peu à la vérité, et l’assura que Dieu était offensé de ce qu’on avait plaisanté les quakers. (Note de Voltaire). — Cette note a été ajoutée en 1739.

  1. 1734. « Que tu es un étranger. »
  2. 1734. « Lui dis-je. »
  3. 1734. « Mon fils, repartit-il. »
  4. 1734. « Nous sommes chrétiens, et tâchons d’être bons chrétiens ; mais nous ne pensons pas. »
  5. 1734. « De l’eau froide sur la tête. »
  6. 1734. « Eh ! ventrebleu ! »