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LES OREILLES DU COMTE DE CHESTERFIELD.

toujours accompagné M. Banks, ce jeune homme si estimable qui a consacré son temps et son bien à observer la nature vers le pôle antarctique, tandis que MM. Dakins et Wood revenaient des ruines de Palmyre et de Balbek[1], où ils avaient fouillé les plus anciens monuments des arts, et que M. Hamilton apprenait aux Napolitains étonnés l’histoire naturelle de leur mont Vésuve[2]. Enfin j’ai vu avec MM. Banks, Solander, Cook, et cent autres, ce que je vais vous raconter.

La princesse Obéira, reine de l’île Otaïti… »


Alors on apporta le café, et, dès qu’on l’eut pris, M. Grou continua ainsi son récit.


CHAPITRE VI.


« La princesse Obéira, dis-je, après nous avoir comblés de présents avec une politesse digne d’une reine d’Angleterre, fut curieuse d’assister un matin à notre service anglican. Nous le célébrâmes aussi pompeusement que nous pûmes. Elle nous invita au sien l’après-dîner ; c’était le 14 mai 1769. Nous la trouvâmes entourée d’environ mille personnes des deux sexes rangées en demi-cercle, et dans un silence respectueux. Une jeune fille très-jolie, simplement parée d’un déshabillé galant, était couchée sur une estrade qui servait d’autel. La reine Obéira ordonna à un beau garçon d’environ vingt ans d’aller sacrifier. Il prononça une espèce de prière, et monta sur l’autel. Les deux sacrificateurs étaient à demi nus. La reine, d’un air majestueux, enseignait à la jeune victime la manière la plus convenable de consommer le sacrifice. Tous les Otaïtiens étaient si attentifs et si respectueux qu’aucun de nos matelots n’osa troubler la cérémonie par un rire indécent. Voilà ce que j’ai vu, vous dis-je ; voilà tout ce que notre équipage a vu : c’est à vous d’en tirer les conséquences.

— Cette fête sacrée ne m’étonne pas, dit le docteur Goudman. Je suis persuadé que c’est la première fête que les hommes aient jamais célébrée, et je ne vois pas pourquoi on ne prierait pas

  1. Robert Wood et Dawkins ont publié les Ruines de Palmyre, Londres, 1753, in-folio, réimprimés à Paris, 1819, in-4o, et les Ruines de Balbec, Londres, 1757, in-folio.
  2. Voyez, dans la Correspondance, la lettre du 17 juin 1773, au chevalier Hamilton.