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— Ah ! répondit Ézéchiel, ce sont des fleurs de rhétorique. »

Après ces ouvertures de cœur, Mambrès parla d’affaires. Il demanda aux trois pèlerins pourquoi ils étaient venus dans les États du roi de Tanis. Daniel prit la parole : il dit que le royaume de Babylone avait été en combustion depuis que Nabuchodonosor avait disparu ; qu’on avait persécuté tous les prophètes, selon l’usage de la cour ; qu’ils passaient leur vie tantôt à voir des rois à leurs pieds, tantôt à recevoir cent coups d’étrivières ; qu’enfin ils avaient été obligés de se réfugier en Égypte, de peur d’être lapidés. Ézéchiel et Jérémie parlèrent aussi très-longtemps dans un fort beau style, qu’on pouvait à peine comprendre. Pour la pythonisse, elle avait toujours l’œil sur son animal. Le poisson de Jonas se tenait dans le Nil, vis-à-vis de la tente, et le serpent se jouait sur l’herbe.

Après le café, on alla se promener sur le bord du Nil. Alors le taureau blanc, apercevant les trois prophètes ses ennemis, poussa des mugissements épouvantables ; il se jeta impétueusement sur eux, il les frappa de ses cornes, et, comme les prophètes n’ont jamais que la peau sur les os, il les aurait percés d’outre en outre, et leur aurait ôté la vie ; mais le Maître des choses, qui voit tout et qui remédie à tout, les changea sur-le-champ en pies ; et ils continuèrent à parler comme auparavant. La même chose arriva depuis aux Piérides, tant la fable a imité l’histoire.

Ce nouvel incident produisait de nouvelles réflexions dans l’esprit du sage Mambrès. « Voilà, disait-il, trois grands prophètes changés en pies : cela doit nous apprendre à ne pas trop parler, et à garder toujours une discrétion convenable. » Il concluait que sagesse vaut mieux qu’éloquence, et pensait profondément selon sa coutume, lorsqu’un grand et terrible spectacle vint frapper ses regards.


CHAPITRE VII.
LE ROI DE TANIS ARRIVE. SA FILLE ET LE TAUREAU VONT ÊTRE SACRIFIÉS.


Des tourbillons de poussière s’élevaient du midi au nord. On entendait le bruit des tambours, des trompettes, des fifres, des psaltérions, des cythares, des sambuques ; plusieurs escadrons avec plusieurs bataillons s’avançaient, et Amasis, roi de Tanis, était à leur tête sur un cheval caparaçonné d’une housse écarlate brochée d’or, et les hérauts criaient : « Qu’on prenne le taureau blanc, qu’on le lie, qu’on le jette dans le Nil, et qu’on le donne à