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génies ont été persécutés pour avoir écrit des choses utiles au genre humain.

LE SERPENT.

Ce sont apparemment mes ennemis, madame, qui vous ont fait ces contes. Ils vont criant que je suis mal en cour. Une preuve que j’y ai un très-grand crédit, c’est qu’eux-mêmes avouent que j’entrai dans le conseil quand il fut question d’éprouver le bonhomme Job, et que j’y fus encore appelé quand on y prit la résolution de tromper un certain roitelet nommé Achab[1] : ce fut moi seul qu’on chargea de cette noble commission.

LA PRINCESSE.

Ah ! monsieur, je ne crois pas que vous soyez fait pour tromper. Mais, puisque vous êtes toujours dans le ministère, puis-je vous demander une grâce ? J’espère qu’un seigneur si aimable ne me refusera pas.

LE SERPENT.

Madame, vos prières sont des lois. Qu’ordonnez-vous ?

LA PRINCESSE.

Je vous conjure de me dire ce que c’est que ce beau taureau blanc pour qui j’éprouve dans moi des sentiments incompréhensibles, qui m’attendrissent, et qui m’épouvantent. On m’a dit que vous daigneriez m’en instruire.

LE SERPENT.

Madame, la curiosité est nécessaire à la nature humaine, et surtout à votre aimable sexe : sans elle on croupirait dans la plus honteuse ignorance. J’ai toujours satisfait, autant que je l’ai pu, la curiosité des dames. On m’accuse de n’avoir eu cette complaisance que pour faire dépit au Maître des choses. Je vous jure que mon seul but serait de vous obliger ; mais la vieille a dû vous avertir qu’il y a quelque danger pour vous dans la révélation de ce secret.

LA PRINCESSE.

Ah ! c’est ce qui me rend encore plus curieuse.

LE SERPENT.

Je reconnais là toutes les belles dames à qui j’ai rendu service.

LA PRINCESSE.

Si vous êtes sensible, si tous les êtres se doivent des secours mutuels, si vous avez pitié d’une infortunée, ne me refusez pas.

  1. Troisième livre des Rois, chapitre xxii, v. 21 et 22. Le Seigneur dit qu’il trompera Achab, roi d’Israël, afin qu’il marche en Ramoth de Galaad, et qu’il y tombe. Et un esprit s’avança et se présenta devant le Seigneur, et lui dit : « C’est moi qui le tromperai. » Et le Seigneur lui dit : « Comment ? Oui, tu le tromperas ; et tu prévaudras. Va, et fais ainsi. » (Note de Voltaire.)