Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/402

Cette page a été validée par deux contributeurs.
376
LA PRINCESSE DE BABYLONE.

lion avec la même dextérité qu’on a vu depuis dans nos carrousels de jeunes chevaliers adroits enlever des têtes de maures ou des bagues.

Puis, tirant une petite boîte, il la présente au roi scythe, en lui disant : « Votre Majesté trouvera dans cette petite boîte le véritable dictame qui croît dans mon pays. Vos glorieuses blessures seront guéries en un moment. Le hasard seul vous a empêché de triompher du lion ; votre valeur n’en est pas moins admirable. »

Le roi scythe, plus sensible à la reconnaissance qu’à la jalousie, remercia son libérateur, et, après l’avoir tendrement embrassé, rentra dans son quartier pour appliquer le dictame sur ses blessures.

L’inconnu donna la tête du lion à son valet ; celui-ci, après l’avoir lavée à la grande fontaine qui était au-dessous de l’amphithéâtre, et en avoir fait écouler tout le sang, tira un fer de son petit sac, arracha les quarante dents du lion, et mit à leur place quarante diamants d’une égale grosseur.

Son maître, avec sa modestie ordinaire, se remit à sa place ; il donna la tête du lion à son oiseau : « Bel oiseau, dit-il, allez porter aux pieds de Formosante ce faible hommage. » L’oiseau part, tenant dans une de ses serres le terrible trophée ; il le présente à la princesse en baissant humblement le cou, et en s’aplatissant devant elle. Les quarante brillants éblouirent tous les yeux. On ne connaissait pas encore cette magnificence dans la superbe Babylone : l’émeraude, la topaze, le saphir, et le pyrope, étaient regardés comme les plus précieux ornements. Bélus et toute la cour étaient saisis d’admiration. L’oiseau qui offrait ce présent les surprit encore davantage. Il était de la taille d’un aigle, mais ses yeux étaient aussi doux et aussi tendres que ceux de l’aigle sont fiers et menaçants. Son bec était couleur de rose, et semblait tenir quelque chose de la belle bouche de Formosante. Son cou rassemblait toutes les couleurs de l’iris, mais plus vives et plus brillantes. L’or en mille nuances éclatait sur son plumage. Ses pieds paraissaient un mélange d’argent et de pourpre ; et la queue des beaux oiseaux qu’on attela depuis au char de Junon n’approchait pas de la sienne.

L’attention, la curiosité, l’étonnement, l’extase de toute la cour, se partageaient entre les quarante diamants et l’oiseau. Il s’était perché sur la balustrade, entre Bélus et sa fille Formosante ; elle le flattait, le caressait, le baisait. Il semblait recevoir ses caresses avec un plaisir mêlé de respect. Quand la princesse lui