Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/390

Cette page a été validée par deux contributeurs.

moins de trois cents ans un seul des fils de Noé (je ne sais si c’est Sem ou Japhet) avait procréé de son corps une série d’enfants qui se montait à six cent vingt-trois milliards six cent douze millions trois cent cinquante-huit mille fidèles, l’an 285 après le déluge universel[1].

M. André demanda pourquoi, du temps de Philippe le Bel, c’est-à-dire environ trois cents ans après Hugues Capet, il n’y avait pas six cent vingt-trois milliards de princes de la maison royale ? « C’est que la foi est diminuée, » dit le docteur de Sorbonne.

On parla beaucoup de Thèbes aux cent portes, et du million de soldats qui sortait par ces portes avec vingt mille chariots de guerre. « Serrez, serrez, disait M. André ; je soupçonne, depuis que je me suis mis à lire, que le même génie qui a écrit Gargantua écrivait autrefois toutes les histoires.

— Mais enfin, lui dit un des convives, Thèbes, Memphis, Babylone, Ninive, Troie, Séleucie, étaient de grandes villes, et n’existent plus.

— Cela est vrai, répondit le secrétaire de M. le prince Gallitzin ; mais Moscou, Constantinople, Londres, Paris, Amsterdam, Lyon qui vaut mieux que Troie, toutes les villes de France, d’Allemagne, d’Espagne et du Nord, étaient alors des déserts. »

Le capitaine suisse, homme très-instruit, nous avoua que quand ses ancêtres voulurent quitter leurs montagnes et leurs précipices pour aller s’emparer, comme de raison, d’un pays plus agréable, César, qui vit de ses yeux le dénombrement de ces émigrants, trouva qu’il se montait à trois cent soixante et huit mille[2], en comptant les vieillards, les enfants, et les femmes. Aujourd’hui, le seul canton de Berne possède autant d’habitants : il n’est pas tout à fait la moitié de la Suisse, et je puis vous assurer que les treize cantons ont au delà de sept cent vingt mille âmes, en comptant les natifs qui servent ou qui négocient en pays étrangers. Après cela, messieurs les savants, faites des calculs et des systèmes, ils seront aussi faux les uns que les autres.

Ensuite on agita la question si les bourgeois de Rome, du temps des césars, étaient plus riches que les bourgeois de Paris, du temps de M. Silhouette.

« Ah ! ceci me regarde, dit M. André. J’ai été longtemps l’homme aux quarante écus ; je crois bien que les citoyens romains

  1. Voyez tome XX, page 246.
  2. Voyez tome XX, page 248.