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« Elle a de temps en temps de cruels ennemis en France ; mais elle y a tant d’amis qu’il faudra bien à la fin qu’elle y soit premier ministre.

« Quand elle s’est présentée en Bavière et en Autriche, elle a trouvé deux ou trois grosses têtes à perruque qui l’ont regardée avec des yeux stupides et étonnés. Ils lui ont dit : Madame, nous n’avons jamais entendu parler de vous ; nous ne vous connaissons pas. Messieurs, leur a-t-elle répondu, avec le temps vous me connaîtrez et vous m’aimerez[1]. Je suis très-bien reçue à Berlin, à Moscou, à Copenhague, à Stockholm. Il y a longtemps que, par le crédit de Locke, de Gordon, de Trenchard, de milord Shaftesbury, et de tant d’autres, j’ai reçu mes lettres de naturalité en Angleterre. Vous m’en accorderez un jour. Je suis la fille du Temps, et j’attends tout de mon père[2].

« Quand elle a passé sur les frontières de l’Espagne et du Portugal, elle a béni Dieu de voir que les bûchers de l’Inquisition n’étaient plus si souvent allumés ; elle a espéré beaucoup en voyant chasser les jésuites, mais elle a craint qu’en purgeant le pays de renards on ne le laissât exposé aux loups[3].

« Si elle fait encore des tentatives pour entrer en Italie, on croit qu’elle commencera par s’établir à Venise, et qu’elle séjournera dans le royaume de Naples, malgré toutes les liquéfactions

  1. Et ce temps est venu. (Note de Voltaire.) — Cette note parut pour la première fois dans les éditions de Kehl. (B.) — Alors régnait, en Autriche, l’empereur Joseph II. Voyez la note à la fin des Annales de l’Empire, tome XIII.
  2. C’est probablement ce passage de Voltaire qui a fourni à l’idée de la fable que voici :
    LE TEMPS ET LA VÉRITÉ.

    Aux portes de la Sorbonne
    La Vérité se montra ;
    Le syndic la rencontra :
    « Que demandez-vous, la bonne ?
    — Hélas ! l’hospitalité.
    — Votre nom ? — La Vérité.
    — Fuyez, dit-il en colère.
    Ou sinon je monte en chaire,
    Et crie à l’impiété.
    — Vous me chassez, mais j’espère
    Avoir mon tour, et j’attends :
    Je suis la fille du Temps,
    Et j’obtiens tout de mon père. »

    Dans l’Almanach des muses, de 1791, cette pièce est signée feu M. Devaux, et datée de 1740. Cette date de 1740 est loin d’être authentique, et quelques personnes croient que l’abbé Devaux est le masque de l’abbé Lemonnier, né en 1721, mort en 1797. (B.)

  3. Voyez la fable intitulée les Renards et les Loups, dans une lettre à Damilaville, du 19 juin 1763.