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une taxe de tous les vaisseaux marchands qui abordent à Kanton ; les Hollandais payent à Nangasaqui, quand ils sont reçus au Japon sous prétexte qu’ils ne sont pas chrétiens ; les Lapons et les Samoyèdes, à la vérité, sont soumis à un impôt unique en peaux de martres ; la république de Saint-Marin ne paye que des dîmes pour entretenir l’État dans sa splendeur.

Il y a dans notre Europe une nation célèbre par son équité et par sa valeur qui ne paye aucune taxe : c’est le peuple helvétien. Mais voici ce qui est arrivé : ce peuple s’est mis à la place des ducs d’Autriche et de Zeringen[1] ; les petits cantons sont démocratiques et très-pauvres ; chaque habitant y paye une somme très-modique pour les besoins de la petite république. Dans les cantons riches, on est chargé envers l’État des redevances que les archiducs d’Autriche et les seigneurs fonciers exigeaient : les cantons protestants sont à proportion du double plus riches que les catholiques, parce que l’État y possède les biens des moines. Ceux qui étaient sujets des archiducs d’Autriche, des ducs de Zeringen, et des moines, le sont aujourd’hui de la patrie ; ils payent à cette patrie les mêmes dîmes, les mêmes droits, les mêmes lods et ventes qu’ils payent à leurs anciens maîtres ; et, comme les sujets en général ont très-peu de commerce, le négoce n’est assujetti à aucune charge, excepté de petits droits d’entrepôt : les hommes trafiquent de leur valeur avec les puissances étrangères, et se vendent pour quelques années, ce qui fait entrer quelque argent dans leur pays à nos dépens ; et c’est un exemple aussi unique dans le monde policé que l’est l’impôt établi par vos nouveaux législateurs.

    mise dans la distribution de la taxe qui remplace les impôts indirects, il est impossible de ne pas commettre des erreurs très-sensibles : il est donc nécessaire de ne faire cette opération que successivement, et il faut de plus être en état de faire un sacrifice momentané d’une partie du revenu public, quoique le résultat de ce changement de forme des impôts puisse être à la fois d’en diminuer le fardeau pour le peuple, et d’augmenter leur produit pour le souverain. Enfin, comme la plupart des terres sont affermées, comme lorsqu’on en soumet le produit à un nouvel impôt destiné à remplacer un impôt d’un autre genre, une partie seulement de la compensation qui se fait alors serait au profit du propriétaire, et le reste au profit du fermier : c’est une nouvelle raison de mettre dans cette opération beaucoup de ménagement, quand même on serait parvenu à connaître à peu près dans chaque genre de culture la partie de l’impôt que l’on doit faire porter au propriétaire, et celle dont, jusqu’à l’expiration du bail, le fermier doit être chargé ; mais si cet ouvrage est difficile, il ne l’est pas moins d’assigner à quel point la nation qui l’exécuterait verrait augmenter en peu d’années son bien-être, ses richesses et sa puissance. (K.)

  1. Les ducs de Zeringen, ou Zehringen, étaient puissants dans l’Helvétie ou la Suisse, au moyen âge. Berthold V, le dernier sa race, mourut en 1218.