Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/313

Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
CHAPITRE XV.

renvoyer en Basse-Bretagne. — Hélas ! monsieur, on est donc bien libéral de lettres de cachet dans vos bureaux, puisqu’on en vient solliciter du fond du royaume, comme des pensions. Je suis bien loin d’en demander une contre mon frère. J’ai beaucoup à me plaindre de lui, mais je respecte la liberté des hommes ; je demande celle d’un homme que je veux épouser, d’un homme à qui le roi doit la conservation d’une province, qui peut le servir utilement, et qui est fils d’un officier tué à son service. De quoi est-il accusé ? Comment a-t-on pu le traiter si cruellement sans l’entendre ? »

Alors le sous-ministre lui montra la lettre du jésuite espion et celle du perfide bailli. « Quoi ! il y a de pareils monstres sur la terre ! et on veut me forcer ainsi à épouser le fils ridicule d’un homme ridicule et méchant ! et c’est sur de pareils avis qu’on décide ici de la destinée des citoyens ! » Elle se jeta à genoux, elle demanda avec des sanglots la liberté du brave homme qui l’adorait. Ses charmes dans cet état parurent dans leur plus grand avantage. Elle était si belle que le Saint-Pouange, perdant toute honte, lui insinua qu’elle réussirait si elle commençait par lui donner les prémices de ce qu’elle réservait à son amant. La Saint-Yves, épouvantée et confuse, feignit longtemps de ne le pas entendre ; il fallut s’expliquer plus clairement. Un mot lâché d’abord avec retenue en produisait un plus fort, suivi d’un autre plus expressif. On offrit non-seulement la révocation de la lettre de cachet, mais des récompenses, de l’argent, des honneurs, des établissements ; et plus on promettait, plus le désir de n’être pas refusé augmentait.

La Saint-Yves pleurait, elle était suffoquée, à demi renversée sur un sofa, croyant à peine ce qu’elle voyait, ce qu’elle entendait. Le Saint-Pouange, à son tour, se jeta à ses genoux. Il n’était pas sans agréments, et aurait pu ne pas effaroucher un cœur moins prévenu ; mais Saint-Yves adorait son amant, et croyait que c’était un crime horrible de le trahir pour le servir. Saint-Pouange redoublait les prières et les promesses : enfin la tête lui tourna au point qu’il lui déclara que c’était le seul moyen de tirer de sa prison l’homme auquel elle prenait un intérêt si violent et si tendre. Cet étrange entretien se prolongeait. La dévote de l’antichambre, en lisant son Pédagogue chrétien, disait : « Mon Dieu ! que peuvent-ils faire là depuis deux heures ? Jamais monseigneur de Saint-Pouange n’a donné une si longue audience ; peut-être qu’il a tout refusé à cette pauvre fille, puisqu’elle le prie encore. »

Enfin sa compagne sortit de l’arrière-cabinet, tout éperdue,