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MESSIE.

aucun mal a mes disciples. » David, animé de l’esprit de Dieu, donne dans plus d’un endroit à Saül son beau-père, qui le persécutait et qu’il n’avait pas sujet d’aimer ; il donne, dis je, à ce roi réprouvé, et de dessus lequel l’esprit de l’Éternel s’était retiré, le nom et la qualité d’oint, de Messie du Seigneur. « Dieu me garde, dit-il fréquemment, de porter ma main sur l’oint du Seigneur, sur le Messie de Dieu.

Si le beau nom de Messie, d’oint de l’Éternel, a été donné à des rois idolâtres, à des princes cruels et tyrans, il a été très-employé dans nos anciens oracles pour désigner véritablement l’oint du Seigneur, ce Messie par excellence, objet du désir et de l’attente de tous les fidèles d’Israël. Ainsi Anne, mère de Samuel, conclut son cantique par ces paroles remarquables, et qui ne peuvent s’appliquer à aucun roi[1], puisqu’on sait que pour lors les Hébreux n’en avaient point : « Le Seigneur jugera les extrémités de la terre, il donnera l’empire à son roi, il relèvera la corne de son Christ, de son Messie. » On trouve ce même mot dans les oracles suivants : Psaume ii, v. 2 ; Psaume xxvii. v. 8 ; Jérémie (Thren.), iv, v. 20 ; Daniel, ix, v. 26 ; Habacuc, iii, v. 13.

Que si l’on rapproche tous ces divers oracles, et en général tous ceux qu’on applique pour l’ordinaire au Messie, il en résulte des contrastes en quelque sorte inconciliables, et qui justifient jusqu’à un certain point l’obstination du peuple à qui ces oracles furent donnés.

Comment en effet concevoir, avant que l’événement l’eût si bien justifié dans la personne de Jésus, fils de Marie ; comment concevoir, dis-je, une intelligence en quelque sorte divine et humaine tout ensemble, un être grand et abaissé qui triomphe du diable, et que cet esprit infernal, ce prince des puissances de l’air, tente, emporte et fait voyager malgré lui ; maître et serviteur, roi et sujet, sacrificateur et victime tout ensemble, mortel et vainqueur de la mort, riche et pauvre ; conquérant glorieux dont le règne éternel n’aura point de fin, qui doit soumettre toute la nature par ses prodiges, et cependant qui sera un homme de douleur, privé des commodités, souvent même de l’absolument nécessaire dans cette vie dont il se dit le roi, et qu’il vient combler de gloire et d’honneurs ; terminant une vie innocente, malheureuse, sans cesse contredite, et traversée par un supplice également honteux et cruel ; trouvant même dans cette humiliation, cet abaissement extraordinaire, la source d’une élévation unique

  1. I. Rois, chapitre ii. v. 10. (Note de Voltaire.)