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ZÈLE.

pas cela à leur doctrine : car je dois leur rendre ce témoignage qu’ils exhortent soigneusement les hommes à se préserver de ces mêmes choses. C’est donc là ce qui m’empêchait de m’attacher tout à fait à la secte, et ce qui me retenait dans le rang de ceux qu’ils appellent auditeurs. Je ne voulais pas renoncer aux espérances et aux affaires du siècle. » Et dans le dernier chapitre de ce livre, où il représente les docteurs manichéens comme des hommes superbes, qui avaient l’esprit aussi grossier qu’ils avaient le corps maigre et décharné, il ne dit pas un mot de leurs prétendues infamies.

Mais sur quelles preuves étaient donc fondées ces imputations ? La première qu’allègue saint Augustin, c’est que ces impudicités étaient une suite du système de Manichée sur les moyens dont Dieu se sert pour arracher aux princes des ténèbres les parties de sa substance. Nous en avons parlé à l’article Généalogie[1] ; ce sont des horreurs que l’on se dispense de répéter. Il suffit de dire ici que le passage du septième livre du Trésor de Manichée, que saint Augustin cite en plusieurs endroits, est évidemment falsifié. L’hérésiarque dit, si nous l’en croyons, que ces vertus célestes qui se transforment tantôt en beaux garçons, et tantôt en belles filles, sont Dieu le père lui-même. Cela est faux. Manès n’a jamais confondu les vertus célestes avec Dieu le père. Saint Augustin, n’ayant pas compris l’expression syriaque d’une vierge de lumière pour dire une lumière vierge, suppose que Dieu fait voir aux princes des ténèbres une belle fille vierge pour exciter leur ardeur brutale ; il ne s’agit point du tout de cela dans les anciens auteurs, il est question de la cause des pluies.

Le grand prince, dit Tirbon cité par saint Épiphane[2] fait sortir de lui-même dans sa colère des nuages noirs qui obscurcissent tout le monde ; il s’agite, se tourmente, se met tout en eau, et c’est là ce qui fait la pluie, qui n’est autre chose que la sueur du grand prince. Il faut que saint Augustin ait été trompé par une traduction ou plutôt par quelque extrait infidèle du Trésor de Manichée, dont il n’a cité que deux ou trois passages. Aussi le manichéen Secundinus lui reprochait-il de n’entendre rien aux mystères de Manichée, et de ne les combattre que par de purs paralogismes. Comment d’ailleurs, dit le savant M. de Beausobre, que nous abrégeons ici[3], saint Augustin aurait-il pu demeurer

  1. Voyez tome XIX, page 222.
  2. Hér. lxvi, c. xxv. (Note de Voltaire.)
  3. Hist. du Man., livre IX, chapitres viii et ix. (Id.)