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ZÈLE.

Athénagore fait voir ensuite que les principes et les mœurs des chrétiens suffisaient seuls pour détruire les calomnies qu’on répandait contre eux ; les mêmes raisons militent en faveur des manichéens. Pourquoi, d’ailleurs, saint Augustin, qui est si affirmatif dans son livre des Hérésies, est-il réduit dans celui des Mœurs des manichéens, en parlant de l’horrible cérémonie dont il s’agit, à dire simplement[1] : On les en soupçonne.... Le monde a cette opinion d’eux.... S’ils ne font pas ce qu’on leur impute.... La renommée publie beaucoup de mal d’eux ; mais ils soutiennent que ce sont des mensonges ?

Pourquoi ne pas soutenir en face cette accusation dans sa dispute contre Fortunat, qui l’en sommait en public et en ces termes : Nous sommes accusés de faux crimes ; et comme Augustin a assisté à notre culte, je le prie de déclarer devant tout le peuple si ces crimes sont véritables ou non ? Saint Augustin répond : Il est vrai que j’ai assisté à votre culte ; mais autre est la question de la foi, autre celle des mœurs ; et c’est celle de la foi que j’ai proposée. Cependant, si les personnes qui sont présentes aiment mieux que nous agitions celle de vos mœurs, je ne m’y opposerai pas.

Fortunat, s’adressant à l’assemblée : Je veux, dit-il, avant toutes choses, être justifié dans l’esprit des personnes qui nous croient coupables, et qu’Augustin témoigne à présent devant vous, et un jour devant le tribunal de Jésus-Christ, s’il a jamais vu, ou s’il sait, de quelque manière que ce soit, que les choses qu’on nous impute se commettent parmi nous. Saint Augustin répond encore : Vous sortez de la question ; celle que j’ai proposée roule sur la foi, et non sur les mœurs. Enfin, Fortunat continuant à presser saint Augustin de s’expliquer, il le fait en ces termes : Je reconnais que dans la prière où j’ai assisté, je ne vous ai vus commettre rien d’impur.

Le même saint Augustin, dans son livre de l’Utilité de la foi[2], justifie encore les manichéens. « Dans ce temps-là, dit-il à son ami Honorat, lorsque j’étais engagé dans le manichéisme, j’étais encore plein du désir et de l’espérance d’épouser une belle femme, d’acquérir des richesses, de parvenir aux honneurs, et de jouir des autres voluptés pernicieuses de la vie. Car lorsque j’écoutais avec assiduité les docteurs manichéens, je n’avais pas encore renoncé au désir et à l’espérance de toutes ces choses. Je n’attribue

  1. Chapitre xvi. (Note de Voltaire.)
  2. Chapitre i. (Id.)