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VŒUX.

Promettre à Dieu par serment qu’on sera, depuis l’âge de quinze ans jusqu’à sa mort, jacobin, jésuite, ou capucin, c’est affirmer qu’on pensera toujours en capucin, en jacobin, ou en jésuite. Il est plaisant de promettre pour toute sa vie ce que nul homme n’est sûr de tenir du soir au matin.

Comment les gouvernements ont-ils été assez ennemis d’eux-mêmes, assez absurdes, pour autoriser les citoyens à faire l’aliénation de leur liberté dans un âge où il n’est pas permis de disposer de la moindre partie de sa fortune ? Comment tous les magistrats, étant convaincus de l’excès de cette sottise, n’y mettent-ils pas ordre ?

N’est-on pas épouvanté quand on fait réflexion qu’on a plus de moines que de soldats ?

N’est-on pas attendri quand on découvre les secrets des cloîtres, les turpitudes, les horreurs, les tourments, auxquels se sont soumis de malheureux enfants qui détestent leur état de forçat quand ils sont hommes, et qui se débattent avec un désespoir inutile contre les chaînes dont leur folie les a chargés ?

J’ai connu un jeune homme que ses parents engagèrent à se faire capucin à quinze ans et demi ; il aimait éperdument une fille à peu près de cet âge. Dès que ce malheureux eut fait ses vœux à François d’Assise, le diable le fit souvenir de ceux qu’il avait faits à sa maîtresse, à qui il avait signé une promesse de mariage. Enfin le diable étant plus fort que saint François, le jeune capucin sort de son cloître, et court à la maison de sa maîtresse ; on lui dit qu’elle s’est jetée dans un couvent, et qu’elle a fait profession.

Il vole au couvent, il demande à la voir, il apprend qu’elle est morte de désespoir. Cette nouvelle lui ôte l’usage de ses sens, il tombe presque sans vie. On le transporte dans un couvent d’hommes voisin, non pour lui donner les secours nécessaires, qui ne peuvent tout au plus que sauver le corps, mais pour lui procurer la douceur de recevoir avant sa mort l’extrême-onction, qui sauve infailliblement l’âme.

Cette maison où l’on porta ce pauvre garçon évanoui était justement un couvent de capucins. Ils le laissèrent charitablement à leur porte pendant plus de trois heures ; mais enfin il fut heureusement reconnu par un des révérends Pères, qui l’avait vu dans le monastère d’où il était sorti. Il fut porté dans une cellule, et l’on y eut quelque soin de sa vie dans le dessein de la sanctifier par une salutaire pénitence.

Dès qu’il eut recouvré ses forces, il fut conduit bien garrotté à son couvent ; et voici très-exactement comme il y fut traité. D’abord