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VŒUX.

lui-même se fit ériger à Rome, tenant une lance terminée par un travers en forme de croix, avec cette inscription que rapporte Eusèbe[1] : Par ce signe salutaire, j’ai délivré votre ville du joug de la tyrannie ; tout cela, dis-je, ne prouve que l’orgueil immodéré de ce prince artificieux, qui voulait répandre partout le bruit de son prétendu songe, et en perpétuer la mémoire.

Cependant pour excuser Eusèbe, il faut lui comparer un évêque du xviie siècle, que La Bruyère n’hésitait pas d’appeler un Père de l’Église. Bossuet, en même temps qu’il s’élevait avec un acharnement si impitoyable contre les visions de l’élégant et sensible Fénelon, commentait lui-même, dans l’Oraison funèbre d’Anne de Gonzague de Clèves[2], les deux visions qui avaient opéré la conversion de cette princesse Palatine. Ce fut un songe admirable, dit ce prélat : elle crut que, marchant seule dans une forêt, elle y avait rencontré un aveugle dans une petite loge. Elle comprit qu’il manque un sens aux incrédules comme à l’aveugle ; et en même temps, au milieu d’un songe si mystérieux, elle fit l’application de la belle comparaison de l’aveugle aux vérités de la religion et de l’autre vie.

Dans la seconde vision, Dieu continua de l’instruire comme il a fait Joseph et Salomon : et durant l’assoupissement que l’accablement lui causa, il lui mit dans l’esprit cette parabole si semblable à celle de l’Évangile. Elle voit paraître ce que Jésus-Christ n’a pas dédaigné de nous donner comme l’image de sa tendresse[3] ; une poule devenue mère, empressée autour des petits qu’elle conduisait. Un d’eux s’étant écarté, notre malade le voit englouti par un chien avide. Elle accourt, elle lui arrache cet innocent animal. En même temps on lui crie d’un autre côté qu’il le fallait rendre au ravisseur. « Non, dit-elle, je ne le rendrai jamais. » En ce moment elle s’éveilla, et l’application de la figure qui lui avait été montrée se fit en un instant dans son esprit.



VŒUX[4].


Faire un vœu pour toute sa vie, c’est se faire esclave. Comment peut-on souffrir le pire de tous les esclavages dans un pays où l’esclavage est proscrit ?

  1. Livre I, chapitre iv. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XVII, page 335.
  3. Matthieu, chapitre xxiii, v. 37. (Note de Voltaire.)
  4. Nouveaux Mélanges, troisième partie, 1765. (B.)