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VISION DE CONSTANTIN.

vait être désavantageux et peu honorable à son héros ? En un mot, ne montre-t-il pas sa partialité quand il dit, dans son Histoire ecclésiastique[1], en parlant de Maxence, qu’ayant usurpé à Rome la puissance souveraine, il feignit d’abord, pour flatter le peuple, de faire profession de la religion chrétienne ; comme s’il eût été impossible à Constantin de se servir d’une feinte pareille, et de supposer cette vision, de même que Licinius, quelque temps après, pour encourager ses soldats contre Maximin, supposa qu’un ange lui avait dicté en songe une prière qu’il devait réciter avec son armée ?

Comment en effet Eusèbe a-t-il le front de donner pour chrétien un prince qui fit rebâtir à ses dépens le temple de la Concorde, comme il est prouvé par une inscription qui se lisait du temps de Lelio Giraldi, dans la basilique de Latran ? un prince qui fit périr Crispus, son fils, déjà décoré du titre de césar, sur un léger soupçon d’avoir commerce avec Fausta, sa belle-mère ; qui fit étouffer, dans un bain trop chauffé, cette même Fausta, son épouse, à laquelle il était redevable de la conservation de ses jours ; qui fit étrangler l’empereur Maximien Herculius, son père adoptif ; qui ôta la vie au jeune Licinius, son neveu, qui faisait paraître de fort bonnes qualités ; qui enfin s’est déshonoré par tant de meurtres que le consul Ablavius appelait ces temps-là néroniens ? On pourrait ajouter qu’il y a d’autant moins de fond à faire sur le serment de Constantin qu’il n’eut pas le moindre scrupule de se parjurer, en faisant étrangler Licinius, à qui il avait promis la vie par serment. Eusèbe passe sous silence toutes ces actions de Constantin, qui sont rapportées par Eutrope[2], Zosime[3], Orose[4], saint Jérôme[5], et Aurélius Victor[6].

N’a-t-on pas lieu de penser après cela que l’apparition prétendue de la croix dans le ciel n’est qu’une fraude que Constantin imagina pour favoriser le succès de ses entreprises ambitieuses ? Les médailles de ce prince et de sa famille, que l’on trouve dans Banduri et dans l’ouvrage intitulé Numismata imperatorum romanorum ; l’arc de triomphe dont parle Baronius[7], dans l’inscription duquel le sénat et le peuple romain disaient que Constantin, par l’instinct de la Divinité, avait vengé la république du tyran Maxence et de toute sa faction ; enfin, la statue que Constantin

  1. Livre VIII, chapitre xiv. (Note de Voltaire.)
  2. Livre X, chapitre iv. (Id.)
  3. Livre II, chapitre xxix. (Id.)
  4. Livre VII, chapitre xxviii. (Id.)
  5. Chron., année 321. (Note de Voltaire.)
  6. Épitome, chapitre i, (Id.)
  7. Tome III, page 296. (Id.)