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SUPPLICES.

supportables ; l’eau aurait été colorée ; on ne l’aurait pas traité d’une pleurésie. Les chirurgiens étaient des ignorants qui disaient ce qu’on voulait qu’ils dissent : cela n’est que trop commun.

Quel intérêt aurait eu cet officier à faire mourir son maître ? De qui pouvait-il espérer plus de fortune ?

Mais, dit-on, il avait aussi l’intention d’empoisonner le roi. — Nouvelle difficulté, et nouvelle improbabilité.

Qui devait lui payer ce double crime ? — On répond que c’était Charles-Quint : autre improbabilité non moins forte. Pourquoi commencer par un enfant de dix-huit ans et demi, qui d’ailleurs avait deux frères ? Comment arriver au roi, que Montecuculli ne servait point à table ?

Il n’y avait rien à gagner pour Charles-Quint en donnant la mort à ce jeune dauphin, qui n’avait jamais tiré l’épée, et qui aurait eu des vengeurs. C’eût été un crime honteux et inutile. Il ne craignait pas le père, qui était le plus brave chevalier de sa cour, et il aurait craint le fils, qui sortait de l’enfance !

Mais on nous dit que ce Montecuculli, dans un voyage à Ferrare sa patrie, fut présenté à l’empereur ; que ce monarque lui demanda des nouvelles de la magnificence avec laquelle le roi était servi à table, et de l’ordre qu’il tenait dans sa maison. — Voilà, certes, une belle preuve que cet Italien fut suborné par Charles-Quint pour empoisonner la famille royale !

Oh ! ce ne fut pas l’empereur qui l’engagea lui-même dans ce crime : ce furent ses généraux, Antoine de Lève et le marquis de Gonzague. — Qui ? Antoine de Lève, âgé de quatre-vingts ans, et l’un des plus vertueux chevaliers de l’Europe ! et ce vieillard eut l’indiscrétion de lui proposer ces empoisonnements conjointement avec un prince de Gonzague ! D’autres nomment le marquis del Vasto, que vous appelez du Guast. Accordez-vous donc, pauvres imposteurs. Vous dites que Montecuculli l’avoua à ses juges, Avez-vous vu les pièces originales du procès ?

Vous avancez que cet infortuné était chimiste. Voilà vos seules preuves ; voilà les seules raisons pour lesquelles il subit le plus effroyable des supplices. Il était Italien, il était chimiste, on haïssait Charles-Quint ; on se vengeait bien honteusement de sa gloire. Quoi ! votre cour fait écarteler un homme de qualité sur de simples soupçons, dans la vaine espérance de déshonorer un empereur trop puissant !

Quelque temps après, vos soupçons, toujours légers, accusent de cet empoisonnement Catherine de Médicis, épouse de Henri II, dauphin, depuis roi de France. Vous dites que pour régner elle