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SALOMON.

composé un recueil de sentences dans lesquelles on n’en trouve pas une seule qui regarde la manière de gouverner, la politique, les mœurs des courtisans, les usages d’une cour. Ils sont étonnés de voir des chapitres entiers où il n’est parlé que de gueuses qui vont inviter les passants dans les rues à coucher avec elles.

Ils se révoltent contre les sentences dans ce goût : « Il y a trois choses insatiables, et une quatrième qui ne dit jamais C’est assez : le sépulcre, la matrice, la terre qui n’est jamais rassasiée d’eau ; et le feu, qui est la quatrième, ne dit jamais C’est assez[1].

« Il y a trois choses difficiles, et j’ignore entièrement la quatrième : la voie d’un aigle dans l’air, la voie d’un serpent sur la pierre, la voie d’un vaisseau sur la mer, et la voie d’un homme dans une femme[2].

« Il y a quatre choses qui sont les plus petites de la terre, et qui sont plus sages que les sages : les fourmis, petit peuple qui se prépare une nourriture pendant la moisson ; le lièvre, peuple faible qui couche sur des pierres ; la sauterelle, qui, n’ayant pas de rois, voyage par troupes ; le lézard, qui travaille de ses mains, et qui demeure dans les palais des rois[3]. »

Est-ce à un grand roi, disent-ils, au plus sage des mortels qu’on ose imputer de telles niaiseries ? Cette critique est forte, il faut parler avec plus de respect.

Les Proverbes ont été attribués à Isaïe, à Elzia, à Sobna, à Éliacin, à Joacké, et à plusieurs autres ; mais qui que ce soit qui ait compilé ce recueil de sentences orientales, il n’y a pas d’apparence que ce soit un roi qui s’en soit donné la peine. Aurait-il dit que « la terreur du roi est comme le rugissement du lion » ? C’est ainsi que parle un sujet ou un esclave que la colère de son maître fait trembler. Salomon aurait-il tant parlé de la femme impudique ? Aurait-il dit : « Ne regardez point le vin quand il paraît clair, et que sa couleur brille dans le verre[4] ? »

Je doute fort qu’on ait eu des verres à boire du temps de Salomon : c’est une invention fort récente; toute l’antiquité buvait dans des tasses de bois ou de métal ; et ce seul passage indique peut-être que cette collection juive fut composée dans Alexandrie, ainsi que tant d’autres livres juifs[5].

  1. Proverbes, chapitre xxx, v. 15 et 16.
  2. Ibid., V. 18 et 19.
  3. Ibid, V. 24, 23, 26, 27 et 28.
  4. Proverbes, chapitre xxiii, v. 31.
  5. Un pédant a cru trouver une erreur dans ce passage ; il a prétendu qu’on a mal traduit par le mot de verre, le gobelet qui était, dit-il, de bois ou de métal, mais comment le vin aurait-il brillé dans un gobelet de métal ou de bois ? et puis qu’importe ? (Note de Voltaire.) — Le pédant dont parle ici Voltaire est l’abbé Guénée, auteur des Lettres de quelques juifs, etc. (B.)