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ROME, COUR DE ROME.

Nous avons une lettre du pape Adrien Ier à Charlemagne, dans laquelle il dit : « La libéralité pieuse de Constantin le Grand, empereur de sainte mémoire, éleva et exalta, du temps du bienheureux pontife romain Silvestre, la sainte Église romaine, et lui conféra sa puissance dans cette partie de l’Italie. »

On voit que dès lors on commençait à vouloir faire croire la donation de Constantin, qui fut depuis regardée pendant cinq cents ans, non pas absolument comme un article de foi, mais comme une vérité incontestable. Ce fut à la fois un crime de lèse-majesté et un péché mortel de former des doutes sur cette donation[1].

Depuis la mort de Charlemagne, l’évêque augmenta son autorité dans Rome de jour en jour ; mais il s’écoula des siècles avant qu’il y fût regardé comme souverain. Rome eut très-longtemps un gouvernement patricien municipal.

Ce Jean XII, que l’empereur allemand Othon Ier fit déposer dans une espèce de concile, en 963, comme simoniaque, incestueux, sodomite, athée, et ayant fait pacte avec le diable ; ce Jean XII, dis-je, était le premier homme de l’Italie en qualité de patrice et de consul, avant d’être évêque de Rome ; et malgré tous ces titres, malgré le crédit de la fameuse Marozie sa mère, il n’y avait qu’une autorité très-contestée.

Ce Grégoire VII qui, de moine étant devenu pape, voulut déposer les rois et donner les empires, loin d’être le maître à Rome, mourut le protégé ou plutôt le prisonnier de ces princes normands conquérants des Deux-Siciles, dont il se croyait le seigneur suzerain.

Dans le grand schisme d’Occident, les papes qui se disputèrent l’empire du monde vécurent souvent d’aumônes.

Un fait assez extraordinaire, c’est que les papes ne furent riches que depuis le temps où ils n’osèrent se montrer à Rome.

Bertrand de Goth, Clément V le Bordelais, qui passa sa vie en France, vendait publiquement les bénéfices, et laissa des trésors immenses, selon Villani.

Jean XXII, son successeur, fut élu à Lyon. On prétend qu’il était le fils d’un savetier de Cahors. Il inventa plus de manières d’extorquer l’argent de l’Église que jamais les traitants n’ont inventé d’impôts.

Le même Villani assure qu’il laissa à sa mort vingt-cinq millions de florins d’or. Le patrimoine de Saint-Pierre ne lui aurait pas assurément fourni cette somme.

  1. Voyez l’article Donations. (Note de Voltaire.)