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RÉSURRECTION.

chez les Grecs, quand il ne restait de vous qu’une livre de cendres tout au plus, et encore mêlée avec la cendre du bois, des aromates, et des étoffes.

Votre objection est forte, et je tiens comme vous la résurrection pour une chose fort extraordinaire ; mais cela n’empêche pas qu’Athalide, fils de Mercure, ne mourût et ne ressuscitât plusieurs fois. Les dieux ressuscitèrent Pélops, quoiqu’il eût été mis en ragoût, et que Cérès en eût déjà mangé une épaule. Vous savez qu’Esculape avait rendu la vie à Hippolyte ; c’était un fait avéré dont les plus incrédules ne doutaient pas : le nom de Verbius donné à Hippolyte était une preuve convaincante. Hercule avait ressuscité Alceste et Pirithous. Hérès, chez Platon, ne ressuscita à la vérité que pour quinze jours ; mais c’était toujours une résurrection, et le temps ne fait rien à l’affaire.

Plusieurs graves scoliastes voient évidemment le purgatoire et la résurrection dans Virgile. Pour le purgatoire, je suis obligé d’avouer qu’il y est expressément au sixième livre. Cela pourra déplaire aux protestants, mais je ne sais qu’y faire.

Non tamen omne malum miseris, nec funditus omnes
Corporese excedunt pestes, etc.

(Æn., VI, 736-37.)

Les cœurs les plus parfaits, les âmes les plus pures,
Sont aux regards des dieux tout chargés de souillures ;
Il faut en arracher jusqu’au seul souvenir.
Nul ne fut innocent : il faut tous nous punir.
Chaque âme a son démon, chaque vice a sa peine ;
Et dix siècles entiers nous suffisent à peine
Pour nous former un cœur qui soit digne des dieux, etc.

Voilà mille ans de purgatoire bien nettement exprimés, sans même que vos parents pussent obtenir des prêtres de ce temps-là une indulgence qui abrégeât votre souffrance pour de l’argent comptant. Les anciens étaient beaucoup plus sévères et moins simoniaques que nous, eux qui d’ailleurs imputaient à leurs dieux tant de sottises. Que voulez-vous ! toute leur théologie était pétrie de contradictions, comme les malins disent qu’est la nôtre.

Le purgatoire achevé, ces âmes allaient boire de l’eau du Léthé, et demandaient instamment à rentrer dans de nouveaux corps, et à revoir la lumière du jour. Mais est-ce là une résurrection ? Point du tout : c’est prendre un corps entièrement nouveau, ce n’est point reprendre le sien ; c’est une métempsycose qui n’a nul rapport à la manière dont nous autres ressuscitons.