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QUÊTE.

pire de l’univers, ils ont droit de vivre aux dépens du public, sans faire que ce qu’il leur plaira ».

Ces propres paroles se lisent dans un livre très-curieux, intitulé les Heureux Succès de la piété ; et les raisons qu’en allègue l’auteur ne sont pas moins convaincantes. « Depuis, dit-il, que le cénobite a consacré à Jésus-Christ le droit de se servir des biens temporels, le monde ne possède plus rien qu’à son refus ; et il voit les royaumes et les seigneuries comme des usages que sa libéralité a laissés en fief. C’est ce qui le rend seigneur du monde, possédant tout par un domaine direct, parce que s’étant rendu une possession de Jésus-Christ par le vœu, et le possédant, il prend aucunement (en quelque manière) part à sa souveraineté. Le religieux a même cet avantage sur le prince qu’il ne lui faut point d’armes pour lever ce que le peuple doit à son exercice : il possède les affections devant que de recevoir les libéralités, et son empire s’étend plus sur les cœurs que sur les biens. »

Ce fut François d’Assise qui, l’an 1209, imagina cette nouvelle manière de vivre de quête ; mais voici ce que porte sa règle[1] : « Les frères à qui Dieu en a donné le talent travailleront fidèlement, en sorte qu’ils évitent l’oisiveté sans éteindre l’esprit d’oraison ; et pour récompense de leur travail ils recevront leurs besoins corporels pour eux et pour leurs frères suivant l’humilité et la pauvreté ; mais ils ne recevront point d’argent. Les frères n’auront rien en propre, ni maison, ni lieu, ni autre chose ; mais, se regardant comme étrangers en ce monde, ils iront avec confiance demander l’aumône. »

Remarquons avec le judicieux Fleury que si les inventeurs des nouveaux ordres mendiants n’étaient pas canonisés pour la plupart, on pourrait les soupçonner de s’être laissé séduire à l’amour-propre, et d’avoir voulu se distinguer par leur raffinement au-dessus des autres. Mais sans préjudice de leur sainteté, on peut librement attaquer leurs lumières ; et le pape Innocent III avait raison de faire difficulté d’approuver le nouvel Institut de Saint-François ; et plus encore le concile de Latran, tenu en 1215, de défendre de nouvelles religions, c’est-à-dire de nouveaux ordres ou congrégations.

Cependant, comme au xiiie siècle l’on était touché des désordres que l’on avait devant les yeux, de l’avarice du clergé, de son luxe, de sa vie molle et voluptueuse qui avait gagné les monastères rentes, l’on fut si frappé de ce renoncement à la possession

  1. Chapitres v et vi. (Note de Voltaire.)