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POPULATION.

-peuplée ; et cependant ses habitants sont moins nombreux d’un cinquième qu’ils ne l’étaient avant ces réunions : et ses belles provinces, que la nature semble avoir destinées à fournir des subsistances à toute l’Europe, sont incultes[1]. »

1° Comment des provinces très-peuplées étant incorporées à un royaume, ce royaume serait-il moins peuplé d’un cinquième ? A-t-il été ravagé par la peste ? S’il a perdu ce cinquième, le roi doit avoir perdu un cinquième de ses revenus. Cependant le revenu annuel de la couronne est porté à près de trois cent quarante millions de livres, année commune, à quarante-neuf livres et demie le marc. Cette somme retourne aux citoyens par le payement des rentes et des dépenses, et ne peut encore y suffire.

2° Comment l’auteur peut-il avancer que la France a perdu le cinquième de ses habitants en hommes et en femmes, depuis l’acquisition de Strasbourg, quand il est prouvé, par les recherches de trois intendants, que la population est augmentée depuis vingt ans dans leurs généralités ?

Les guerres, qui sont le plus horrible fléau du genre humain, laissent en vie l’espèce femelle, qui le répare. De là vient que les bons pays sont toujours à peu près également peuplés.

Les émigrations des familles entières sont plus funestes. La révocation de l’édit de Nantes et les dragonnades ont fait à la France une plaie cruelle ; mais cette blessure est refermée, et le Languedoc, qui est la province dont il est le plus sorti de réformés, est aujourd’hui la province de France la plus peuplée, après l’Île-de-France et la Normandie.

3° Comment peut-on dire que les belles provinces de France sont incultes ? En vérité c’est se croire damné en paradis. Il suffit d’avoir des yeux pour être persuadé du contraire. Mais, sans entrer ici dans un long détail, considérons Lyon, qui contient environ cent trente mille habitants, c’est-à-dire autant que Rome, et non pas deux cent mille, comme dit l’abbé de Gaveyrac dans son

  1. Cette opinion s’est établie d’après d’anciens dénombrements vraisemblablement très-exagérés. Jamais la France n’a été mieux cultivée, et par conséquent plus peuplée que depuis la paix de 1763 ; mais on doit dire en même temps qu’elle n’est peut-être pas encore parvenue à la moitié de la population et de la richesse que son sol peut lui promettre, et desquelles l’exécution du plan dont on a vu quelques essais en 1770 l’aurait fait approcher dans l’espace de trois ou quatre générations. (K.) — L’article Population est de Damilaville, ami et correspondant de Voltaire. Damilaville attribue ce dépérissement du royaume à la préférence accordée au commerce du luxe sur l’agriculture. On voit qu’il s’agit ici d’une question économique qui faisait grand bruit alors. Damilaville est ennemi du luxe et des manufactures, dont Voltaire se fit toujours le champion.