Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
POPULATION.

P. Petau en comptait près de sept cents milliards en deux cent quatre-vingts ans, après l’aventure du déluge. Et ce n’est pourtant pas à la suite des Mille et une Nuits qu’il a fait imprimer ce beau dénombrement.

Je compte aujourd’hui sur notre globule environ neuf cents millions de mes confrères, tant mâles que femelles[1]. Wallace leur en accorde mille millions. Je me trompe ou lui, et peut-être nous trompons-nous tous deux ; mais c’est peu de chose qu’un dixième, et dans toute l’arithmétique des historiens on se trompe bien davantage.

Je suis un peu surpris que notre arithméticien Wallace, qui pousse le nombre de nos concitoyens jusqu’à un milliard, prétende dans la même page que, l’an 966 de la création, nos pères étaient au nombre de 1610 millions.

Premièrement, je voudrais qu’on m’établît bien nettement l’époque de la création ; et comme nous avons dans notre Occident près de quatre-vingts systèmes sur cet événement, il est difficile de rencontrer juste.

En second lieu, les Égyptiens, les Chaldéens, les Persans, les Indiens, les Chinois, ayant tous des calculs encore plus différents, il est encore plus malaisé de s’accorder avec eux.

Troisièmement, pourquoi en neuf cent soixante-six années le monde aurait-il été plus peuplé qu’il ne l’est de nos jours[2] ?

Pour sauver cette absurdité, on nous dit qu’il n’en allait pas autrefois comme de notre temps ; que l’espèce était bien plus vigoureuse ; qu’on digérait mieux ; que par conséquent on était bien plus prolifique, et qu’on vivait plus longtemps. Que n’ajoutait-on que le soleil était plus chaud et la lune plus belle ?

On nous allègue que du temps de César, quoique les hommes commençassent fort à dégénérer, cependant le monde était alors

  1. Voltaire écrivait en 1771. On ne portait, en 1828, la population de tout le globe qu’à sept cent trente-sept millions. (B.)
  2. L’édition originale et celle de 1771 contenaient ici deux alinéas qui ne sont plus dans l’édition de 1774 ni dans les suivantes, et que voici :

    « Croit-on de bonne foi que, l’an 1771 de notre ère vulgaire, nous soyons parvenus en Angleterre, en Allemagne, en France, en Italie, à former une population seize cent soixante-six fois plus considérable que du temps d’Egbert, de Charlemagne et du pape Léon III, qui vivaient tous il y a neuf cent soixante et six ans?

    « Supposez alors quatre millions d’hommes en Angleterre : il faudrait, suivant ce calcul, qu’elle contînt à présent six mille quatre cent quarante millions d’Anglais, et que nous eussions plus de Français à proportion. Supposons le double en France, elle contiendrait aujourd’hui douze mille cent quatre-vingts millions d’individus. » (B.)