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POPULATION.

N’en est-il pas ainsi à peu près des autres animaux, et surtout de l’espèce humaine ? La famine, la peste et la guerre, les deux sœurs venues de l’Arabie et l’Amérique, détruisent les hommes dans un canton : on est tout étonné de le trouver peuplé cent ans après.

J’avoue que c’est un devoir sacré de peupler ce monde, et que tous les animaux sont forcés par le plaisir à remplir celle vue du grand Demiourgos.

Pourquoi ces peuplades sur la terre ? et à quoi bon former tant d’êtres destinés à se dévorer tous, et l’animal homme, qui semble né pour égorger son semblable d’un bout de la terre à l’autre ? On m’assure que je saurai un jour ce secret ; je le souhaite en qualité de curieux.

Il est clair que nous devons peupler tant que nous pouvons : car que ferions-nous de notre matière séminale ? Ou sa surabondance nous rendrait malades, ou son émission nous rendrait coupables ; et l’alternative est triste.

Les sages Arabes, voleurs du désert, dans les traités qu’ils font avec tous les voyageurs, stipulent toujours qu’on leur donnera des filles. Quand ils conquirent l’Espagne, ils imposèrent un tribut de filles. Le pays de Médée[1] paye les Turcs en filles. Les flibustiers firent venir des filles de Paris dans la petite île dont ils s’étaient emparés ; et on conte que Romulus, dans un beau spectacle qu’il donna aux Sabins, leur vola trois cents filles.

Je ne conçois pas pourquoi les Juifs, que d’ailleurs je révère, tuèrent tout dans Jéricho, jusqu’aux filles, et pourquoi ils disent dans leurs psaumes qu’il sera doux d’écraser les enfants à la mamelle, sans en excepter nommément les filles.

Tous les autres peuples, soit Tartares, soit Cannibales, soit Teutons ou Welches, ont eu toujours les filles en grande recommandation.

Avec cet heureux instinct, il semble que la terre devrait être couverte d’animaux de notre espèce. Nous avons vu[2] que le

  1. Cela était vrai ; mais cela n’est plus depuis que la Géorgie, qui comprenait la Colchide, est passée sous la domination de la Russie.
  2. Voyez Philosophie de l’histoire, tome XI, page 71 ; dans les Mélanges, année 1763, la xixe des Remarques sur l’Essai sur les Mœurs, et, année 1768, l’avant-dernier paragraphe de la Profession de foi des théistes.