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POËTES.

giens, cuisiniers, échansons, porte-coton, médecins, chirurgiens, balayeurs, faiseurs d’Agnus Dei, confituriers, prédicateurs ; il a aussi son poëte. Je ne sais quel fou était le poëte de Léon X, comme David fut quelque temps le poëte de Saül.

C’est assurément, de tous les emplois qu’on peut avoir dans une grande maison, l’emploi le plus inutile. Les rois d’Angleterre, qui ont conservé dans leur île beaucoup d’anciens usages perdus dans le continent, ont, comme on sait, leur poëte en titre d’office. Il est obligé de faire tous les ans une ode à la louange de sainte Cécile, qui jouait autrefois si merveilleusement du clavecin ou du psaltérion qu’un ange descendit du neuvième ciel pour l’écouter de plus près, attendu que l’harmonie du psaltérion n’arrive d’ici-bas au pays des anges qu’en sourdine.

Moïse est le premier poëte que nous connaissions. Il est à croire que longtemps avant lui les Égyptiens, les Chaldéens, les Syriens, les Indiens, connaissaient la poésie, puisqu’ils avaient de la musique. Mais enfin son beau cantique qu’il chanta avec sa sœur Maria en sortant du fond de la mer Rouge est le premier monument poétique en vers hexamètres que nous ayons. Je ne suis pas du sentiment de ces bélîtres ignorants et impies, Newton, Leclerc, et d’autres, qui prouvent que tout cela ne fut écrit qu’environ huit cents ans après l’événement, et qui disent avec insolence que Moïse ne put écrire en hébreu, puisque la langue hébraïque n’est qu’un dialecte nouveau du phénicien, et que Moïse ne pouvait savoir le phénicien. Je n’examine point avec le savant Huet comment Moïse put chanter, lui qui était bègue et qui ne pouvait parler.

À entendre plusieurs de ces messieurs, Moïse serait bien moins ancien qu’Orphée, Musée, Homère, Hésiode. On voit au premier coup d’œil combien cette opinion est absurde. Le moyen qu’un Grec puisse être aussi ancien qu’un Juif ?

Je ne répondrai pas non plus à ces autres impertinents qui soupçonnent que Moïse n’est qu’un personnage imaginaire, une fabuleuse imitation de la fable de l’ancien Bacchus, et qu’on chantait dans les orgies tous les prodiges de Bacchus attribués depuis à Moïse, avant qu’on sût qu’il y eût des Juifs au monde. Une telle idée se réfute d’elle-même. Le bon sens nous fait voir qu’il est impossible qu’il y ait eu un Bacchus avant un Moïse.

Nous avons encore un excellent poëte juif, très-réellement antérieur à Horace, c’est le roi David ; et nous savons bien que le Miserere est infiniment au-dessus du Justum ac tenacem propositi virum.