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PIERRE (SAINT).

faites mourir deux chrétiens qui vous ont fait l’aumône, et vous laissez vivre ceux qui ont crucifié votre Dieu[1] !

Nous avons eu, du temps de Henri IV et de Louis XIII, un avocat général du Parlement de Provence, homme de qualité, nommé Doraison de Torame, qui, dans un livre de l’Église militante dédié à Henri IV, a fait un chapitre entier des arrêts rendus par saint Pierre en matière criminelle. Il dit que l’arrêt prononcé par Pierre contre Anania et Saphira fut exécuté par Dieu même, aux termes et cas de la juridiction spirituelle. Tout son livre est dans ce goût. Conringius, comme on voit, ne pense pas comme notre avocat provençal. Apparemment que Conringius n’était pas en pays d’inquisition quand il faisait ces questions hardies.

Érasme, à propos de Pierre, remarquait une chose fort singulière : c’est que le chef de la religion chrétienne commença son apostolat par renier Jésus-Christ, et que le premier pontife des Juifs avait commencé son ministère par faire un veau d’or et par l’adorer.

Quoi qu’il en soit, Pierre nous est dépeint comme un pauvre qui catéchisait des pauvres. Il ressemble à ces fondateurs d’ordres, qui vivaient dans l’indigence, et dont les successeurs sont devenus grands seigneurs.

Le pape, successeur de Pierre, a tantôt gagné, tantôt perdu ; mais il lui reste encore environ cinquante millions d’hommes sur la terre, soumis en plusieurs points à ses lois, outre ses sujets immédiats.

Se donner un maître à trois ou quatre cents lieues de chez soi ; attendre pour penser que cet homme ait paru penser ; n’oser juger en dernier ressort un procès entre quelques-uns de ses concitoyens que par des commissaires nommés par cet étranger ; n’oser se mettre en possession des champs et des vignes qu’on a obtenus de son propre roi sans payer une somme considérable à ce maître étranger ; violer les lois de son pays, qui défendent d’épouser sa nièce, et l’épouser légitimement en donnant à ce maître étranger une somme encore plus considérable ; n’oser cultiver son champ le jour que cet étranger veut qu’on célèbre la mémoire d’un inconnu qu’il a mis dans le ciel de son autorité privée : c’est là en partie ce que c’est que d’admettre un pape ;

  1. En 1764 on lisait ici :

    « Apparemment que Conringius n’était pas en pays d’inquisition quand il faisait ces questions hardies. Érasme, à propos de Pierre, etc. » La version actuelle est de 1774. (B.)