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PHILOSOPHIE.

plat d’anguilles ou de lièvre, s’il ne peut s’empêcher de rire de quelques discours superstitieux de ses convives, le voilà perdu dans la synagogue ; il en faut dire autant d’un musulman, d’un guèbre, d’un banian.

Je sais qu’on prétend que le sage ne doit jamais laisser entrevoir aux profanes ses opinions, qu’il doit être fou avec les fous, imbécile avec les imbéciles ; mais on n’a pas encore osé dire qu’il doit être fripon avec les fripons. Or, si on exige que le sage soit toujours de l’avis de ceux qui trompent les hommes, n’est-ce pas demander évidemment que le sage ne soit pas un homme de bien ? Exigera-t-on d’un médecin qu’il soit toujours de l’avis des charlatans ?

Le sage est un médecin des âmes ; il doit donner ses remèdes à ceux qui lui en demandent, et fuir la société des charlatans qui le persécuteront infailliblement. Si donc un fou de l’Asie Mineure, ou un fou de l’Inde, dit au sage : Mon ami, tu as bien la mine de ne pas croire à la jument Borac, ou aux métamorphoses de Vistnou ; je te dénoncerai, je t’empêcherai d’être bostangi, je te décrierai, je te persécuterai ; le sage doit le plaindre et se taire.

Si des ignorants, nés avec un bon esprit et voulant sincèrement s’instruire, interrogent le sage, et lui disent : Dois-je croire qu’il y a cinq cents lieues de la lune à Vénus, autant de Mercure à Vénus et de Mercure au soleil, comme l’assurent tous les premiers Pères musulmans, malgré tous les astronomes ? Le sage doit leur répondre que les Pères peuvent se tromper. Le sage doit en tout temps les avertir que cent dogmes ne valent pas une bonne action, et qu’il vaut mieux secourir un infortuné que de connaître à fond l’abolissant et l’aboli.

Quand un manant voit un serpent prêt à l’assaillir, il doit le tuer : quand un sage voit un superstitieux et un fanatique, que fera-t-il ? il les empêchera de mordre.



PHILOSOPHIE.


SECTION PREMIÈRE[1].


Écrivez filosofie[2] ou philosophie, comme il vous plaira ; mais convenez que dès qu’elle paraît elle est persécutée. Les chiens à

  1. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771, tout l’article se composait de cette première section. (B.)
  2. Ainsi qu’on l’a vu ci-dessus, page 200, l’auteur avait placé à la lettre F l’article Philosophe, mais non l’article Philosophie.