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PÈRES, MÈRES, ENFANTS.

Siècles à venir, jugez un Franc nommé Louis XIII, qui à l’âge de seize ans commença par faire murer la porte de l’appartement de sa mère, et l’envoya en exil sans en donner la moindre raison, mais seulement parce que son favori le voulait.

« Mais, monsieur, je suis obligé de vous confier que mon père est un ivrogne qui me fit un jour par hasard, sans songer à moi ; qui ne m’a donné aucune éducation que celle de me battre tous les jours quand il revenait ivre au logis. Ma mère était une coquette qui n’était occupée que de faire l’amour. Sans ma nourrice, qui s’était prise d’amitié pour moi, et qui, après la mort de son fils, m’a reçu chez elle par charité, je serais mort de misère.

— Eh bien, aime ta nourrice, salue ton père et ta mère quand tu les rencontreras. Il est dit dans la Vulgate[1] : « Honora patrem tuum et matrem tuam, » et non pas dilige.

— Fort bien, monsieur, j’aimerai mon père et ma mère s’ils me font du bien ; je les honorerai s’ils me font du mal : j’ai toujours pensé ainsi depuis que je pense, et vous me confirmez dans mes maximes.

— Adieu, mon enfant ; je vois que tu prospéreras, car tu as un grain de philosophie dans la tête.

— Encore un mot, monsieur ; si mon père s’appelait Abraham, et moi Isaac, et si mon père me disait : Mon fils, tu es grand et fort, porte ces fagots au haut de cette montagne pour te servir de bûcher quand je t’aurai coupé la tête, car c’est Dieu qui me l’a ordonné ce matin quand il m’est venu voir ; que me conseilleriez-vous de faire dans cette occasion chatouilleuse ?

— Assez chatouilleuse en effet. Mais toi, que ferais-tu ? Car tu me parais une assez bonne tête.

— Je vous avoue, monsieur, que je lui demanderais son ordre par écrit, et cela par amitié pour lui. Je lui dirais : Mon père, vous êtes chez des étrangers qui ne permettent pas qu’on assassine son fils sans une permission expresse de Dieu dûment légalisée et contrôlée. Voyez ce qui est arrivé à ce pauvre Calas dans la ville moitié française, moitié espagnole de Toulouse. On l’a roué ; et le procureur général Riquet a conclu à faire brûler Mme  Calas la mère, le tout sur le simple soupçon très-mal conçu qu’ils avaient pendu leur fils Marc-Antoine Calas pour l’amour de Dieu. Je craindrais qu’il ne donnât ses conclusions contre vous et contre votre sœur ou votre nièce Mme  Sara ma mère. Mon-

  1. Exode, xx, 12 ; Deut., v, 16 ; Matth., xv, 4, et xix, 19 ; Marc, vii, 10, et x 19 ; Luc, xviii, 20 ; Éph., vi, 2.