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PASSIONS.

a fouillé en vain dans des matrices pour voir comment un être pensant s’y forme, et qui connaît tout ce qu’on peut connaître de notre machine ; hélas ! j’entends un docteur en théologie), je t’adjure par la raison au nom de laquelle tu frémis : dis-moi pourquoi, ayant vu faire à ta servante un mouvement de gauche à droite, et de droite à gauche, formé par le muscle glutéus et par le vaste externe, sur-le-champ ton imagination s’alluma : deux muscles érecteurs, qui partent de l’ischion, donnèrent un mouvement de perpendicule à ton phallus. Ses corps caverneux se remplirent de sang ; tu introduisis ton balanus intra vaginam de ta servante ; et ton balanus frottant suum clitorida lui donna comme à toi un plaisir d’une ou deux secondes, dont ni elle ni toi ne connaîtront jamais la cause, et dont naîtra cependant un être pensant, tout pourri du péché originel. Quel rapport, je te prie, de toute cette action avec un mouvement du muscle glutéus de ta gouvernante ? Tu auras beau relire Sanchez et Thomas d’Aquin, et Scot et Bonaventure, tu ne sauras jamais un mot de cette mécanique incompréhensible, par laquelle l’éternel architecte dirige tes idées, tes désirs, tes actions, et fait naître un petit bâtard de prêtre, prédestiné à la damnation de toute éternité.

Le lendemain matin, après avoir pris ton chocolat, ta mémoire te retrace l’image du plaisir que tu goûtas la veille, et tu recommences. Conçois-tu, mon gros automate, ce que c’est que cette mémoire qui t’est commune avec tous les animaux ? Sais-tu quelles fibres rappellent tes idées, et peignent dans ton cerveau les voluptés de la veille par un sentiment continué, qui a dormi avec toi et qui s’est réveillé avec toi ? Le docteur me répond, après Thomas d’Aquin, que tout cela est une production de son âme végétative, de son âme sensitive, et de son âme intellectuelle, qui toutes trois composent une âme, laquelle n’étant point étendue agit évidemment sur un corps étendu.

Je vois à son air embarrassé qu’il a balbutié des mots dont il n’a aucune idée ; et je lui dis enfin : Docteur, si tu conviens malgré toi que tu ne sais ce que c’est qu’une âme, et que tu as parlé toute ta vie sans t’entendre, que ne l’avoues-tu en honnête homme ? Que ne conclus-tu ce qu’il faut conclure de la prémotion physique du docteur Boursier, et de certains endroits de Malebranche, et surtout de ce sage Locke si supérieur à Malebranche ? Que ne conclus-tu, dis-je, que ton âme est une faculté que Dieu t’a donnée, sans te dire son secret, ainsi qu’il t’en a donné tant d’autres ? Apprends que plusieurs raisonneurs prétendent qu’à proprement parler il n’y a que le pouvoir inconnu du