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OVIDE.

dans la description du chaos d’Ovide : car ce qu’ils appellent lois générales du mouvement, principes de mécanique, modifications de la matière, figure, situation et arrangement des corpuscules, ne comprend autre chose que cette vertu active et passive de la nature, que les péripatéticiens entendent sous les mots de qualités altératrices et motrices des quatre éléments. Puis donc que, suivant la doctrine de ceux-ci, ces quatre corps, situés selon leur légèreté et leur pesanteur naturelle, sont un principe qui suffit à toutes les générations, les cartésiens, les gassendistes, et les autres philosophes modernes, doivent soutenir que le mouvement, la situation et la figure des parties de la matière, suffisent à la production de tous les effets naturels, sans excepter même l’arrangement général qui a mis la terre, l’air, l’eau et les astres où nous les voyons. Ainsi la véritable cause du monde et des effets qui s’y produisent n’est point différente de la cause qui a donné le mouvement aux parties de la matière, soit qu’en même temps elle ait assigné à chaque atome une figure déterminée, comme le veulent les gassendistes, soit qu’elle ait seulement donné à des parties toutes cubiques une impulsion qui, par la durée du mouvement réduit à certaines lois, leur ferait prendre dans la suite toutes sortes de figures. C’est l’hypothèse des cartésiens. Les uns et les autres doivent convenir, par conséquent, que si la matière avait été telle avant la génération du monde qu’Ovide l’a prétendu, elle aurait été capable de se tirer du chaos par ses propres forces, et de se donner la forme de monde sans l’assistance de Dieu. Ils doivent donc accuser Ovide d’avoir commis deux bévues : l’une est d’avoir supposé que la matière avait eu, sans l’aide de la Divinité, les semences de tous les mixtes, la chaleur, le mouvement, etc. ; l’autre est de dire que, sans l’assistance de Dieu, elle ne se serait point tirée de l’état de confusion. C’est donner trop et trop peu à l’un et à l’autre ; c’est se passer de secours au plus grand besoin, et le demander lorsqu’il n’est pas nécessaire. »

Ovide pourra vous répondre encore : Vous supposez à tort que mes éléments avaient toutes les qualités qu’ils ont aujourd’hui ; ils n’en avaient aucune ; le sujet existait nu, informe, impuissant, et quand j’ai dit que le chaud était mêlé dans mon chaos avec le froid, le sec avec l’humide, je n’ai pu employer que ces expressions, qui signifient qu’il n’y avait ni froid ni chaud, ni sec ni humide. Ce sont des qualités que Dieu a mises dans nos sensations, et qui ne sont point dans la matière. Je n’ai point fait les bévues dont vous m’accusez. Ce sont vos cartésiens et vos gassendistes qui font des bévues avec leurs atomes et leurs parties