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OVIDE.

que les philosophes partagent dans un degré différent l’action et la réaction aux qualités élémentaires. Tout bien compté, il se trouverait que la cause qui métamorphosa le chaos l’aurait tiré, non pas d’un état de confusion et de guerre, comme on le suppose, mais d’un état de justesse, qui était la chose du monde la plus accomplie, et qui, par la réduction à l’équilibre des forces contraires, le tenait dans un repos équivalent à la paix. Il est donc constant que, si les poëtes veulent sauver l’homogénéité du chaos, il faut qu’ils effacent tout ce qu’ils ajoutent concernant cette confusion bizarre des semences contraires, et ce mélange indigeste, et ce combat perpétuel des principes ennemis.

« Passons-leur cette contradiction, nous trouverons assez de matière pour les combattre par d’autres endroits. Recommençons l’attaque de l’éternité. Il n’y a rien de plus absurde que d’admettre pendant un temps infini le mélange des parties insensibles des quatre éléments : car dès que vous supposez dans ces parties l’activité de la chaleur, l’action et la réaction des quatre premières qualités, et outre cela le mouvement vers le centre dans les particules de la terre et de l’eau, et le mouvement vers la circonférence dans celles du feu et de l’air, vous établissez un principe qui séparera nécessairement les unes des autres ces quatre espèces de corps, et qui n’aura besoin pour cela que d’un certain temps limité. Considérez un peu ce qu’on appelle la fiole des quatre éléments : On y enferme de petites particules métalliques, et puis trois liqueurs beaucoup plus légères les unes que les autres. Brouillez tout cela ensemble, vous n’y discernez plus aucun de ces quatre mixtes : les parties de chacun se confondent avec les parties des autres ; mais laissez un peu votre fiole en repos, vous trouverez que chacun reprend sa situation : toutes les particules métalliques se rassemblent au fond de la fiole ; celles de la liqueur la plus légère se rassemblent au haut ; celles de la liqueur moins légère que celle-là, et moins pesante que l’autre, se rangent au troisième étage ; celles de la liqueur plus pesante que ces deux-là, mais moins pesante que les particules métalliques, se mettent au second étage ; et ainsi vous retrouvez les situations distinctes que vous aviez confondues en secouant la fiole : vous n’avez pas besoin de patience ; un temps fort court vous suffit pour revoir l’image de la situation que la nature a donnée dans le monde aux quatre éléments. On peut conclure, en comparant l’univers à cette fiole, que si la terre, réduite en poudre, avait été mêlée avec la matière des astres, et avec celle de l’air et de l’eau, en telle sorte que le mélange eût été fait jusqu’aux particules insensibles de