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OVIDE.

beau demander grâce à l’auteur des proscriptions et à l’empoisonneur de Germanicus, il resta sur les bords du Danube.

Si un gentilhomme hollandais, ou polonais, ou suédois, ou anglais, ou vénitien, avait vu par hasard un stathouder, ou un roi de la Grande-Bretagne, ou un roi de Suède, ou un roi de Pologne, ou un doge, commettre quelque gros péché ; si ce n’était pas même par hasard qu’il l’eût vu ; s’il en avait cherché l’occasion ; si enfin il avait l’indiscrétion d’en parler ; certainement ce stathouder, ou ce roi, ou ce doge, ne seraient pas en droit de l’exiler.

On peut faire à Ovide un reproche presque aussi grand qu’à Auguste et qu’à Tibère, c’est de les avoir loués. Les éloges qu’il leur prodigue sont si outrés qu’ils exciteraient encore aujourd’hui l’indignation, s’il les eût donnés à des princes légitimes ses bienfaiteurs ; mais il les donnait à des tyrans, et à ses tyrans. On pardonne de louer un peu trop un prince qui vous caresse, mais non pas de traiter en dieu un prince qui vous persécute. Il eût mieux valu cent fois s’embarquer sur la mer Noire, et se retirer en Perse, par les Palus-Méotides, que de faire ses Tristes, de Ponto. Il eût appris le persan aussi aisément que le gète, et aurait pu du moins oublier le maître de Rome chez le maître d’Ecbatane. Quelque esprit dur dira qu’il y avait encore un parti à prendre : c’était d’aller secrètement à Rome, s’adresser à quelques parents de Brutus et de Cassius, et de faire une douzième conspiration contre Octave ; mais cela n’était pas dans le goût élégiaque.

Chose étrange que les louanges ! Il est bien clair qu’Ovide souhaitait de tout son cœur que quelque Brutus délivrât Rome de son Auguste, et il lui souhaite en vers l’immortalité !

Je ne reproche à Ovide que ses Tristes. Bayle lui fait son procès sur sa philosophie du chaos, si bien exposée dans le commencement des Métamorphoses :

Ante mare et terras, et quod tegit omnia cœlum,
Unus erat toto naturæ vultus in orbe.

Bayle traduit ainsi ces premiers vers : « Avant qu’il y eût un ciel, une terre et une mer, la nature était un tout homogène. » Il y a dans Ovide : « La face de la nature était la même dans tout l’univers. » Cela ne veut pas dire que tout fût homogène, mais que ce tout hétérogène, cet assemblage de choses différentes, paraissait le même : unus vultus.

Bayle critique tout le chaos. Ovide, qui n’est dans ses vers que