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MOUVEMENT.

-connus, et nous ignorons ce qui forme notre sang et nos liqueurs. Nous sommes en vie, et nous ne savons pas ce qui nous donne la vie.

— Apprenez-moi du moins si, le mouvement étant essentiel, il n’y a pas toujours égale quantité de mouvement dans le monde.

— C’est une ancienne chimère d’Épicure, renouvelée par Descartes. Je ne vois pas que cette égalité de mouvement dans le monde soit plus nécessaire qu’une égalité de triangles. Il est essentiel qu’un triangle ait trois angles et trois côtés ; mais il n’est pas essentiel qu’il y ait toujours un nombre égal de triangles sur ce globe.

— Mais n’y a-t-il pas toujours égalité de forces, comme le disent d’autres philosophes[1] ?

— C’est la même chimère. Il faudrait qu’en ce cas il y eût toujours un nombre égal d’hommes, d’animaux, d’êtres mobiles : ce qui est absurde.

— À propos, qu’est-ce que la force d’un corps en mouvement ?

— C’est le produit de sa masse par sa vitesse dans un temps donné. La masse d’un corps est quatre, sa vitesse est quatre, la force de son coup sera seize ; un autre corps est deux, sa vitesse deux, sa force est quatre : c’est le principe de toutes les mécaniques. Leibnitz annonça emphatiquement que ce principe était défectueux. Il prétendit qu’il fallait mesurer cette force, ce produit, par la masse multipliée par le carré de la vitesse. Ce n’était qu’une chicane, une équivoque indigne d’un philosophe, fondé sur l’abus de la découverte du grand Galilée, que les espaces parcourus dans le mouvement uniformément accéléré étaient comme les carrés des temps et des vitesses.

« Leibnitz ne considérait pas le temps qu’il fallait considérer. Aucun mathématicien anglais n’adopta ce système de Leibnitz. Il fut reçu quelque temps en France par un petit nombre de géomètres. Il infecta quelques livres, et même les Institutions physiques d’une personne illustre. Maupertuis traite fort mal Mairan, dans un livret intitulé ABC, comme s’il avait voulu ensei-

  1. Il y a toujours égalité de forces vives, mais avec deux conditions : la première, que si une force variable dépendante du temps ou du lieu du corps influe sur son mouvement, ce n’est plus la somme des forces qui reste constante, mais la somme des forces vives, plus une certaine quantité variable qui dépend de cette force ; la seconde, que cette égalité des forces vives cesse d’avoir lieu toutes les fois qu’on est obligé de supposer un changement qui ne se fasse pas d’une manière insensible. Ainsi ce principe peut être vrai comme un principe mathématique d’une vérité de définition, mais non comme principe métaphysique. (K.)