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ŒDIPE.

Un roi pour ses sujets est un dieu qu’on révère ;
Pour Hercule et pour moi, c’est un homme ordinaire.
J’ai défendu des rois ; et vous devez songer
Que j’ai pu les combattre, ayant pu les venger.

Œdipe.

Je connais Philoctète à ces illustres marques :
Des guerriers comme vous sont égaux aux monarques ;
Je le sais : cependant, prince, n’en doutez pas,
Le vainqueur de Laïus est digne du trépas ;
Sa tête répondra des malheurs de l’empire ;
Et vous…

Philoctète.

Et…Ce n’est point moi : ce mot doit vous suffire.
Seigneur, si c’était moi, j’en ferais vanité.
En vous parlant ainsi, je dois être écouté.
C’est aux hommes communs, aux âmes ordinaires
À se justifier par des moyens vulgaires ;
Mais un prince, un guerrier, tel que vous, tel que moi,
Quand il a dit un mot, en est cru sur sa foi.
Du meurtre de Laïus Œdipe me soupçonne ;
Ah ! Ce n’est point à vous d’en accuser personne :
Son sceptre et son épouse ont passé dans vos bras,
C’est vous qui recueillez le fruit de son trépas.
Ce n’est pas moi surtout de qui l’heureuse audace
Disputa sa dépouille, et demanda sa place.
Le trône est un objet qui n’a pu me tenter :
Hercule à ce haut rang dédaignait de monter.
Toujours libre avec lui, sans sujets et sans maître,
J’ai fait des souverains, et n’ai point voulu l’être[1].
Mais c’est trop me défendre et trop m’humilier :
La vertu s’avilit à se justifier.

Œdipe.

Votre vertu m’est chère, et votre orgueil m’offense.
On vous jugera, prince ; et si votre innocence
De l’équité des lois n’a rien à redouter,
Avec plus de splendeur elle en doit éclater.
Demeurez parmi nous…

  1. Le 29 mai 1801, sous le consulat de Bonaparte, le roi d’Étrurie, Louis Ier, qui lui devait sa couronne, assistait à une représentation d’Œdipe, au Théâtre Français. On y applaudit, à plusieurs reprises, le vers :

    J’ai fait des souverains, et n’ai point voulu l’être.