Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
ACTE II, SCÈNE IV.

Le chemin de la gloire où vous êtes entré.
Ne déshonorez point par une calomnie
La splendeur de ces noms où votre nom s’allie ;
Et soutenez surtout, par un trait généreux,
L’honneur que vous avez d’être placé près d’eux.

Œdipe.

Être utile aux mortels, et sauver cet empire,
Voilà, seigneur, voilà l’honneur seul où j’aspire,
Et ce que m’ont appris en ces extrémités
Les héros que j’admire et que vous imitez.
Certes, je ne veux point vous imputer un crime :
Si le ciel m’eût laissé le choix de la victime,
Je n’aurais immolé de victime que moi :
Mourir pour son pays, c’est le devoir d’un roi ;
C’est un honneur trop grand pour le céder à d’autres.
J’aurais donné mes jours et défendu les vôtres ;
J’aurais sauvé mon peuple une seconde fois ;
Mais, seigneur, je n’ai point la liberté du choix.
C’est un sang criminel que nous devons répandre :
Vous êtes accusé, songez à vous défendre ;
Paraissez innocent, il me sera bien doux
D’honorer dans ma cour un héros tel que vous ;
Et je me tiens heureux s’il faut que je vous traite,
Non comme un accusé, mais comme Philoctète.

Philoctète.

Je veux bien l’avouer ; sur la foi de mon nom
J’avais osé me croire au-dessus du soupçon.
Cette main qu’on accuse, au défaut du tonnerre,
D’infâmes assassins a délivré la terre ;
Hercule à les dompter avait instruit mon bras :
Seigneur, qui les punit ne les imite pas.

Œdipe.

Ah ! Je ne pense point qu’aux exploits consacrées
Vos mains par des forfaits se soient déshonorées,
Seigneur, et si Laïus est tombé sous vos coups,
Sans doute avec honneur il expira sous vous :
Vous ne l’avez vaincu qu’en guerrier magnanime ;
Je vous rends trop justice.

Philoctète.

Je vous rends tropEh ! Quel serait mon crime ?
Si ce fer chez les morts eût fait tomber Laïus,
Ce n’eût été pour moi qu’un triomphe de plus.