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ACTE II, SCÈNE III.

Je vous aimais, seigneur : une suprême loi
Toujours malgré moi-même a disposé de moi ;
Et du sphinx et des dieux la fureur trop connue
Sans doute à votre oreille est déjà parvenue ;
Vous savez quels fléaux ont éclaté sur nous,
Et qu’Œdipe…

Philoctète.

Et qu’Œdipe…Je sais qu’Œdipe est votre époux :
Je sais qu’il en est digne ; et, malgré sa jeunesse,
L’empire des Thébains sauvé par sa sagesse,
Ses exploits, ses vertus, et surtout votre choix,
Ont mis cet heureux prince au rang des plus grands rois.
Ah ! Pourquoi la fortune, à me nuire constante,
Emportait-elle ailleurs ma valeur imprudente ?
Si le vainqueur du sphinx devait vous conquérir,
Fallait-il loin de vous ne chercher qu’à périr ?
Je n’aurais point percé les ténèbres frivoles
D’un vain sens déguisé sous d’obscures paroles ;
Ce bras, que votre aspect eût encore animé,
À vaincre avec le fer était accoutumé :
Du monstre à vos genoux j’eusse apporté la tête.
D’un autre cependant Jocaste est la conquête !
Un autre a pu jouir de cet excès d’honneur !

Jocaste.

Vous ne connaissez pas quel est votre malheur.

Philoctète.

Je perds Alcide et vous : qu’aurais-je à craindre encore ?

Jocaste.

Vous êtes en des lieux qu’un dieu vengeur abhorre ;
Un feu contagieux annonce son courroux,
Et le sang de Laïus est retombé sur nous.
Du ciel qui nous poursuit la justice outragée
Venge ainsi de ce roi la cendre négligée :
On doit sur nos autels immoler l’assassin ;
On le cherche, on vous nomme, on vous accuse enfin.

Philoctète.

Madame, je me tais, une pareille offense
Étonne mon courage et me force au silence.
Qui ? Moi, de tels forfaits ! Moi, des assassinats !
Et que de votre époux… vous ne le croyez pas.

Jocaste.

Non, je ne le crois point, et c’est vous faire injure