Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
68
ŒDIPE.

Laïus, qui connaissait son zèle et sa prudence,
Partageait avec lui le poids de sa puissance.
Ce fut lui qui du prince, à ses yeux massacré,
Rapporta dans nos murs le corps défiguré :
Percé de coups lui-même, il se traînait à peine ;
Il tomba tout sanglant aux genoux de sa reine :
« Des inconnus, dit-il, ont porté ces grands coups ;
Ils ont devant mes yeux massacré votre époux ;
Ils m’ont laissé mourant ; et le pouvoir céleste
De mes jours malheureux a ranimé le reste. »
Il ne m’en dit pas plus ; et mon cœur agité
Voyait fuir loin de lui la triste vérité ;
Et peut-être le ciel, que ce grand crime irrite,
Déroba le coupable à ma juste poursuite :
Peut-être, accomplissant ses décrets éternels,
Afin de nous punir il nous fit criminels.
Le sphinx bientôt après désola cette rive ;
À ses seules fureurs Thèbes fut attentive :
Et l’on ne pouvait guère, en un pareil effroi,
Venger la mort d’autrui quand on tremblait pour soi.

Œdipe.

Madame, qu’a-t-on fait de ce sujet fidèle ?

Jocaste.

Seigneur, on paya mal son service et son zèle.
Tout l’état en secret était son ennemi :
Il était trop puissant pour n’être point haï ;
Et du peuple et des grands la colère insensée
Brûlait de le punir de sa faveur passée.
On l’accusa lui-même, et d’un commun transport
Thèbes entière à grands cris me demanda sa mort :
Et moi, de tout côté redoutant l’injustice,
Je tremblai d’ordonner sa grâce ou son supplice.
Dans un château voisin conduit secrètement,
Je dérobai sa tête à leur emportement.
Là, depuis quatre hivers, ce vieillard vénérable,
De la faveur des rois exemple déplorable,
Sans se plaindre de moi ni du peuple irrité,
De sa seule innocence attend sa liberté.

Œdipe.
(À sa suite.)

Madame, c’est assez. Courez ; que l’on s’empresse ;
Qu’on ouvre sa prison, qu’il vienne, qu’il paraisse.