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ŒDIPE.

Ô mort, viens nous sauver, viens terminer nos jours[1] !

Le Grand-Prêtre.

Cessez, et retenez ces clameurs lamentables,
Faible soulagement aux maux des misérables.
Fléchissons sous un dieu qui veut nous éprouver,
Qui d’un mot peut nous perdre, et d’un mot nous sauver.
Il sait que dans ces murs la mort nous environne.
Et les cris des Thébains sont montés vers son trône.
Le roi vient. Par ma voix le ciel va lui parler ;
Les destins à ses yeux veulent se dévoiler.
Les temps sont arrivés, cette grande journée
Va du peuple et du roi changer la destinée.


Scène III.

ŒDIPE, JOCASTE, LE GRAND-PRÊTRE, ÉGINE, DIMAS, ARASPE, le chœur.
Œdipe.

Peuple qui, dans ce temple apportant vos douleurs,
Présentez à nos dieux des offrandes de pleurs,
Que ne puis-je, sur moi détournant leurs vengeances,
De la mort qui vous suit étouffer les semences !
Mais un roi n’est qu’un homme en ce commun danger,
Et tout ce qu’il peut faire est de le partager.

(Au grand-prêtre.)

Vous, ministre des dieux que dans Thèbes on adore,
Dédaignent-ils toujours la voix qui les implore ?
Verront-ils sans pitié finir nos tristes jours ?
Ces maîtres des humains sont-ils muets et sourds ?

Le Grand-Prêtre.

Roi, peuple, écoutez-moi. Cette nuit, à ma vue,
Du ciel sur nos autels la flamme est descendue ;
L’ombre du grand Laïus a paru parmi nous,
Terrible et respirant la haine et le courroux.
Une effrayante voix s’est fait alors entendre :
« Les Thébains de Laïus n’ont point vengé la cendre ;
Le meurtrier du roi respire en ces états,
Et de son souffle impur infecte vos climats.

  1. Ces vers furent accueillis par un éclat de rire. « Le parterre, dit Voltaire lui-même, ne sentit d’abord que le prétendu ridicule d’avoir mis ces vers dans la bouche d’acteurs peu accoutumés. » (G. A.)