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ZAÏRE.


Orosmane.

Cours chez elle à l’instant, va, vole, Corasmin :
Montre-lui cet écrit… Qu’elle tremble… et soudain,
De cent coups de poignard que l’infidèle meure.
Mais avant de frapper... Ah ! cher ami, demeure ;
Demeure, il n’est pas temps. Je veux que ce chrétien
Devant elle amené… Non... je ne veux plus rien...
Je me meurs... je succombe à l’excès de ma rage.

Corasmin.

On ne reçut jamais un si sanglant outrage.

Orosmane.

Le voilà donc connu ce secret plein d’horreur[1] !
Ce secret qui pesait à son infâme cœur !
Sous le voile emprunté d’une crainte ingénue.
Elle veut quelque temps se soustraire à ma vue.
Je me fais cet effort, je la laisse sortir ;
Elle part en pleurant… et c’est pour me trahir.
Quoi ! Zaïre !

Corasmin.

Tout sert à redoubler son crime.
Seigneur, n’en soyez pas l’innocente victime,
Et de vos sentiments rappelant la grandeur...

Orosmane.

C’est là ce Nérestan, ce héros plein d’honneur,
Ce chrétien si vanté, qui remplissait Solyme
De ce faste imposant de sa vertu sublime !
Je l’admirais moi-même, et mon cœur combattu
S’indignait qu’un chrétien m’égalât en vertu.
Ah ! qu’il va me payer sa fourbe abominable !
Mais Zaïre, Zaïre est cent fois plus coupable.
Une esclave chrétienne, et que j’ai pu laisser
Dans les plus vils emplois languir sans l’abaisser !
Une esclave ! elle sait ce que j’ai fait pour elle !
Ah ! malheureux !

Corasmin.

Seigneur, si vous souffrez mon zèle,
Si, parmi les horreurs qui doivent vous troubler,
Vous vouliez...

  1. C’est par ce vers que Boucher d’Argis commenta son fameux rapport sur les événements des 5 et 6 octobre 1789. (G. A.)