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ZAÏRE.


Mais, seigneur, mais mon cœur ne vous est pas connu.
Me punisse à jamais ce ciel qui me condamne,
Si je regrette rien que le cœur d’Orosmane !

Orosmane.

Zaïre, vous m’aimez !

zaïre.

Dieu ! si je l’aime, hélas !

Orosmane.

Quel caprice étonnant, que je ne conçois pas !
Vous m’aimez ! Eh ! pourquoi vous forcez-vous, cruelle,
À déchirer le cœur d’un amant si fidèle ?
Je me connaissais mal ; oui, dans mon désespoir,
J’avais cru sur moi-même avoir plus de pouvoir.
Va, mon cœur est bien loin d’un pouvoir si funeste.
Zaïre, que jamais la vengeance céleste
Ne donne à ton amant, enchaîné sous ta loi,
La force d’oublier l’amour qu’il a pour toi !
Qui ? moi ? que sur mon trône une autre fût placée !
Non, je n’en eus jamais la fatale pensée.
Pardonne à mon courroux, à mes sens interdits,
Ces dédains affectés, et si bien démentis ;
C’est le seul déplaisir que jamais, dans ta vie,
Le ciel aura voulu que ta tendresse essuie.
Je t’aimerai toujours… Mais d’où vient que ton cœur
En partageant mes feux, différait mon bonheur ?
Parle. Était-ce un caprice ? est-ce crainte d’un maître,
D’un soudan, qui pour toi veut renoncer à l’être ?
Serait-ce un artifice ? épargne-toi ce soin ;
L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin :
Qu’il ne souille jamais le saint nœud qui nous lie !
L’art le plus innocent tient de la perfidie.
Je n’en connus jamais, et mes sens déchirés,
Pleins d’un amour si vrai…

zaïre.

Vous me désespérez.
Vous m’êtes cher, sans doute, et ma tendresse extrême
Est le comble des maux pour ce cœur qui vous aime.

Orosmane.

Ô ciel ! expliquez-vous. Quoi ! toujours me troubler ?
Se peut-il ?…

zaïre.

Dieu puissant, que ne puis-je parler !