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ACTE III, SCÈNE I.


Corasmin.

Son nom cher aux chrétiens…

Orosmane.

Son nom n’est point à craindre.

Corasmin.

Mais, seigneur, si Louis…

Orosmane.

Il n’est plus temps de feindre,
Zaïre l’a voulu ; c’est assez : et mon cœur,
En donnant Lusignan, le donne à mon vainqueur.
Louis est peu pour moi ; je fais tout pour Zaïre ;
Nul autre sur mon cœur n’aurait pris cet empire.
Je viens de l’affliger, c’est à moi d’adoucir
Le déplaisir mortel qu’elle a dû ressentir
Quand, sur les faux avis des desseins de la France,
J’ai fait à ces chrétiens un peu de violence.
Que dis-je ? ces moments, perdus dans mon conseil,
Ont de ce grand hymen suspendu l’appareil :
D’une heure encore, ami, mon bonheur se diffère ;
Mais j’emploierai du moins ce temps à lui complaire.
Zaïre ici demande un secret entretien
Avec ce Nérestan, ce généreux chrétien…

Corasmin.

Et vous avez, seigneur, encor cette indulgence ?

Orosmane.

Ils ont été tous deux esclaves dans l’enfance ;
Ils ont porté mes fers, ils ne se verront plus ;
Zaïre enfin de moi n’aura point un refus.
Je ne m’en défends point ; je foule aux pieds pour elle
Des rigueurs du sérail la contrainte cruelle.
J’ai méprisé ces lois dont l’âpre austérité
Fait d’une vertu triste une nécessité.
Je ne suis point formé du sang asiatique :
Né parmi les rochers, au sein de la Taurique,
Des Scythes mes aïeux je garde la fierté.
Leurs mœurs, leurs passions, leur générosité :
Je consens qu’en partant Nérestan la revoie ;
Je veux que tous les cœurs soient heureux de ma joie.
Après ce peu d’instants, volés à mon amour.
Tous ses moments, ami, sont à moi sans retour.
Va, ce chrétien attend, et tu peux l’introduire.
Presse son entretien, obéis à Zaïre.