Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
573
ACTE II, SCÈNE II.


Vous daignâtes bientôt, soit grandeur, soit pitié,
Soit plutôt digne effet d’une pure amitié,
Revoyant des Français le glorieux empire,
Y chercher la rançon de la triste Zaïre :
Vous l’apportez : le ciel a trompé vos bienfaits ;
Loin de vous, dans Solyme, il m’arrête à jamais.
Mais quoi que ma fortune ait d’éclat et de charmes,
Je ne puis vous quitter sans répandre des larmes.
Toujours de vos bontés je vais m’entretenir,
Chérir de vos vertus le tendre souvenir,
Comme vous, des humains soulager la misère.
Protéger les chrétiens, leur tenir lieu de mère ;
Vous me les rendez chers, et ces infortunés…

Nérestan

Vous, les protéger ! vous, qui les abandonnez !

Vous, qui des Lusignan foulant aux pieds la cendre…

Zaïre

Je la viens honorer, seigneur, je viens vous rendre
Le dernier de ce sang, votre amour, votre espoir :
Oui, Lusignan est libre, et vous l’allez revoir.

Chatillon

Ô ciel ! nous reverrions notre appui, notre père !

Nérestan

Les chrétiens vous devraient une tête si chère !

Zaïre

J’avais sans espérance osé la demander :
Le généreux soudan veut bien nous l’accorder :
On l’amène en ces lieux.

Nérestan

Que mon âme est émue !

Zaïre

Mes larmes, malgré moi, me dérobent sa vue ;
Ainsi que ce vieillard, j’ai langui dans les fers ;

Qui ne sait compatir aux maux qu’on a soufferts[1] !

Nérestan

<poem>

Grand Dieu ! que de vertu dans une âme infidèle !

  1. Ce vers est une imitation de celui de Virgile (Æn., I, v. 634) :

    Non ignara mali miseris succurrere disco. (K.)