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ZAÏRE.


Depuis deux jours, Fatime, absent de ce palais,
Enfin son tendre amour le rend à mes souhaits.



Scène II.

OROSMANE, ZAÏRE, FATIME.
Orosmane.

Vertueuse Zaïre, avant que l’hyménée
Joigne à jamais nos cœurs et notre destinée,
J’ai cru, sur mes projets, sur vous, sur mon amour,
Devoir en musulman vous parler sans détour.
Les soudans qu’à genoux cet univers contemple,
Leurs usages, leurs droits, ne sont point mon exemple ;
Je sais que notre loi, favorable aux plaisirs,
Ouvre un champ sans limite à nos vastes désirs ;
Que je puis à mon gré, prodiguant mes tendresses,
Recevoir à mes pieds l’encens de mes maîtresses ;
Et tranquille au sérail, dictant mes volontés,
Gouverner mon pays du sein des voluptés.
Mais la mollesse est douce, et sa suite est cruelle ;
Je vois autour de moi cent rois vaincus par elle ;
Je vois de Mahomet ces lâches successeurs,
Ces califes tremblants dans leurs tristes grandeurs,
Couchés sur les débris de l’autel et du trône,
Sous un nom sans pouvoir languir dans Babylone :
Eux qui seraient encore, ainsi que leurs aïeux,
Maîtres du monde entier s’ils l’avaient été d’eux.
Bouillon leur arracha Solyme et la Syrie ;
Mais bientôt, pour punir une secte ennemie,
Dieu suscita le bras du puissant Saladin ;
Mon père, après sa mort, asservit le Jourdain ;
Et moi, faible héritier de sa grandeur nouvelle,
Maître encore incertain d’un État qui chancelle,
Je vois ces fiers chrétiens, de rapine altérés,
Des bords de l’Occident vers nos bords attirés ;
Et lorsque la trompette et la voix de la guerre
Du Nil au Pont-Euxin font retentir la terre,
Je n’irai point, en proie à de lâches amours,
Aux langueurs d’un sérail abandonner mes jours.