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SECONDE ÉPÎTRE DÉDICATOIRE.


Tous les vers qui sont dans ce goût simple et vrai sont rendus mot à mot dans l’anglais. Il eût été aisé de les orner, mais le traducteur a jugé autrement que quelques-uns de mes compatriotes : il a aimé et il a rendu toute la naïveté de ces vers. En effet, le style doit être conforme au sujet. Alzire, Brutus et Zaïre demandaient, par exemple, trois sortes de versification différente.

Si Bérénice se plaignait de Titus, et Ariane de Thésée, dans le style de Cinna, Bérénice et Ariane ne toucheraient point.

Jamais on ne parlera bien d’amour, si l’on cherche d’autres ornements que la simplicité et la vérité.

Il n’est pas question ici d’examiner s’il est bien de mettre tant d’amour dans les pièces de théâtre. Je veux que ce soit une faute, elle est et sera universelle ; et je ne sais quel nom donner aux fautes qui font le charme du genre humain.

Ce qui est certain, c’est que, dans ce défaut, les Français ont réussi plus que toutes les autres nations anciennes et modernes mises ensemble. L’amour paraît sur nos théâtres avec des bienséances, une délicatesse, une vérité qu’on ne trouve point ailleurs. C’est que de toutes les nations, la française est celle qui a le plus connu la société.

Le commerce continuel, si vif et si poli, des deux sexes a introduit en France une politesse assez ignorée ailleurs.

La société dépend des femmes. Tous les peuples qui ont le malheur de les enfermer sont insociables. Et des mœurs encore austères parmi vous, des querelles politiques, des guerres de religion, qui vous avaient rendus farouches, vous ôtèrent, jusqu’au temps de Charles II, la douceur de la société, au milieu même de la liberté. Les poëtes ne devaient donc savoir, ni dans aucun pays, ni même chez les Anglais, la manière dont les honnêtes gens traitent l’amour.

La bonne comédie fut ignorée jusqu’à Molière, comme l’art d’exprimer sur le théâtre des sentiments vrais et délicats fut ignoré jusqu’à Racine, parce que la société ne fut, pour ainsi dire, dans sa perfection que de leur temps. Un poëte, du fond de son cabinet,

    pièces, il y en a certes bien cent contre cinq qui sont dans le même cas. Qu’a donc fait Hill de particulier ? Mais aurait-il eu même ce singulier mérite dont le loue Voltaire, qu’il ne serait pas vrai de dire encore que son exemple a eu l’influence qu’on lui attribue là. Car, jusqu’à cette heure, il parait autant (pour ne pas dire plus) de tragédies anglaises avec des fins d’acte rimées que sans de telles fins. Et Hill lui-même ne s’est jamais affranchi complètement de cette vieille mode dans ses tragédies dont plusieurs sont postérieures à sa traduction de Zaïre. » (G. A.)