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M. DU CAP-VERT.

Assurément, et de tout mon cœur ; je suis tout prêt : parlez, mon enfant. Vous me paraissez timide : qu’est-ce que c’est ?

FANCHON.

C’est, monsieur, de ne me point épouser.

M. DU CAP-VERT.

J’arrive pourtant exprès pour cette affaire, et pour me donner à vous avec tous mes agrès : vous m’étiez promise avant que vous fussiez née. Il y a trente ans que votre père m’a promis une fille. Je consommerai tout cela ce soir, vers les dix heures, si vous le trouvez bon, m’amie.

FANCHON.

Mais entre nous, monsieur du Cap-Vert, vous figurez-vous qu’à mon âge, et faite comme je suis, il soit si plaisant pour moi de vous épouser, d’être empaquetée dans votre bord comme votre pacotille, et d’aller vous servir d’esclave aux antipodes ?

M. DU CAP-VERT.

Vous vous imaginez donc, la belle, que je vous épouse pour votre plaisir ? apprenez que c’est pour moi que je me marie, et non pas pour vous. Ai-je donc si longtemps vogué dans le monde pour ne savoir pas ce que c’est que le mariage ? Si l’on ne prenait une femme que pour en être aimé, les notaires de votre pays feraient, ma foi, peu de contrats. M’amie, il me faut une femme, votre père m’en doit une, vous voilà ; préparez-vous à m’épouser.

FANCHON.

Savez-vous bien ce que risque un mari de soixante-cinq ans quand il épouse une fille de quinze ?

M. DU CAP-VERT.

Eh bien ! merluche, que risque-t-il ?

FANCHON.

N’avez-vous jamais ouï dire qu’il y a eu autrefois des cocus dans le monde ?

M. DU CAP-VERT.

Oui, oui, petite effrontée ; et j’ai ouï dire aussi qu’il a des filles qui font deux ou trois enfants avant leur mariage ; mais je n’y regarde pas de si près.

FANCHON, en glapissant.

Trois enfants avant mon mariage !

M. DU CAP-VERT.

Nous savons ce que nous savons.

FANCHON.

Trois enfants avant mon mariage, imposteur !