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AVERTISSEMENT SUR ŒDIPE.

La première édition d’Œdipe fut dédiée à Madame, femme du Régent[1]. Voici cette dédicace : elle ressemble aux épîtres dédicatoires de ce temps-là. Ce ne fut qu’après son voyage en Angleterre, et lorsqu’il dédia Brutus au lord Bolingbroke, que M. de Voltaire montra qu’on pouvait, dans une dédicace, parler à celui qui la reçoit d’autre chose que de lui-même.


« Madame,

« Si l’usage de dédier ses ouvrages à ceux qui en jugent le mieux n’était pas établi, il commencerait par Votre Altesse Royale. La protection éclairée dont vous honorez les succès ou les efforts des auteurs met en droit ceux mêmes qui réussissent le moins d’oser mettre sous votre nom des ouvrages qu’ils ne composent que dans le dessein de vous plaire[2]. Pour moi, dont le zèle tient lieu de mérite auprès de vous, souffrez que je prenne la liberté de vous offrir les faibles essais de ma plume. Heureux si, encouragé par vos bontés, je puis travailler longtemps pour Votre Altesse Royale, dont la conservation n’est pas moins précieuse à ceux qui cultivent les beaux-arts qu’à toute la France, dont elle est les délices et l’exemple.

« Je suis, avec un profond respect,

« Madame,

« De Votre Altesse Royale,

Le très-humble et très-obéissant
serviteur,

Arouet de Voltaire[3]. »

  1. Françoise-Marie de Bourbon, dite Mlle  de Blois, fille de Louis XIV et de Mme  de Montespan, épouse de Philippe, duc d’Orléans, régent. Voyez aussi l’Épître au roi d’Angleterre George Ier, en lui envoyant la tragédie d’Œdipe.
  2. Dans la seconde édition d’Œdipe, qui est aussi de 1719, il y a : « … de vous plaire. La liberté que je prends de vous offrir ces faibles essais n’est autorisée que par mon zèle qui me tient lieu de mérite auprès de vous. Heureux, etc. »
  3. Il avait écrit au duc d’Orléans pour lui demander de souffrir qu’il lui dédiât son Œdipe. Cela est d’autant plus à noter qu’on avait voulu voir dans le personnage de Jocaste une allusion aux mœurs affreuses du Régent. Nous ne savons si le prince déclina catégoriquement l’hommage ; il est à croire, s’il en eût été ainsi, qu’Arouet n’eut pas osé le reporter sur un membre de la famille, la duchesse douairière d’Orléans. Le poëte envoya également sa tragédie au roi d’Angleterre en lui disant que ce tribut d’estime et de respect, ce n’était pas au roi, mais au sage, mais au héros qu’il le rendait. Même envoi et compliment pareil au duc et à la duchesse de Lorraine, auxquels il offrait les prémices de sa jeune muse : « C’est aux dieux qu’on les doit, et vous êtes les miens. » La dédicace à Madame a cela de remarquable qu’elle est signée « Arouet de Voltaire ». C’est la première fois qu’il prend ce nom. (G. D.)