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VARIANTES D’ŒDIPE.

Ont mis sur le bûcher le plus grand des humains.
Je rapporte en ces lieux ces flèches invincibles,
Du fils de Jupiter présents chers et terribles.
Je rapporte sa cendre, et viens à ce héros.
Attendant des autels, élever des tombeaux.
Sa mort de mon trépas devrait être suivie :
Mais vous savez, grands dieux, pour qui j’aime la vie ?
Dimas, à cet amour si constant, si parfait,
Tu vois trop que Jocaste en doit être l’objet.
Jocaste par un père à son hymen forcée,
Au trône de Laïus à regret fut placée :
L’amour nous unissait, et cet amour si doux
Était né dans l’enfance, et croissait avec nous.
Tu sais combien alors mes fureurs éclatèrent.
Combien contre Laïus mes plaintes s’emportèrent.
Tout l’État, ignorant mes sentiments jaloux.
Du nom de politique honorait mon courroux.
Hélas ! de cet amour accru dans le silence.
Je t’épargnais alors la triste confidence :
Mon cœur, qui languissait de mollesse abattu,
Redoutait tes conseils, et craignait ta vertu.
Je crus que, loin des bords où Jocaste respire,
Ma raison sur mes sens reprendrait son empire ;
Tu le sais, je partis de ce funeste lieu,
Et je dis à Jocaste un éternel adieu.
Cependant l’univers, tremblant au nom d’Alcide,
Attendait son destin de sa valeur rapide ;
À ses divins travaux j’osais m’associer ;
Je marchai près de lui ceint du même laurier.
Mais parmi les dangers, dans le sein de la guerre,
Je portais ma faiblesse aux deux bouts de la terre :
Le temps, qui détruit tout, augmentait mon amour ;
Et, des lieux fortunés où commence le jour,
Jusqu’aux climats glacés où la nature expire,
Je traînais avec moi le trait qui me déchire.
Enfin je viens dans Thèbe, et je puis de mon feu,
Sans rougir, aujourd’hui te faire un libre aveu.
Par dix ans de travaux utiles à la Grèce,
J’ai bien acquis le droit d’avoir une faiblesse ;
Et cent tyrans punis, cent monstres terrassés,
Suffisent à ma gloire, et m’excusent assez.

dimas

Quel fruit espérez-vous d’un amour si funeste ?
Venez-vous de l’État embraser ce qui reste ?
Ravirez-vous Jocaste à son nouvel époux ?

philoctète

Son époux ! juste ciel ! ah ! que me dites-vous ?
Jocaste !… Il se pourrait qu’un second hyménée ?

dimas

Œdipe à cette reine a joint sa destinée…

philoctète

Voilà, voilà le coup que j’avais pressenti,
Et dont mon cœur jaloux tremblait d’être averti.